Accueil Animaux Antibiorésistance animale : les médecines naturelles victimes d’une stratégie sanitaire paradoxale
Antibiorésistance animale : les médecines naturelles victimes d’une stratégie sanitaire paradoxale
Limitez au maximum les antibiotiques et privilégiez les traitements alternatifs : c’est le message officiel adressé aux éleveurs et vétérinaires depuis une dizaine d’années. Seulement voilà, s’ils utilisent des médecines douces pour soigner les animaux, ils sont souvent « hors la loi » au niveau réglementaire. Une situation absurde au moment où la lutte contre l’antibiorésistance n’a jamais été aussi urgente.
S’il fallait encore démontrer le lien entre antibiorésistance animale et humaine, l’histoire de la bactérie Salmonella en serait un exemple flagrant. En effet, les chercheurs de l’Institut Pasteur ont prouvé que si la Salmonelle résiste aujourd’hui à l’ampicilline (antibiotique utilisé en santé humaine), c’est à cause d’antibiotiques donnés largement au bétail dans les années 1950.
L'antibiothérapie animale, facteur d'antibiorésitance chez l'humain.
Ils ont analysé des souches très anciennes de salmonelle, qui se sont révélées résistantes à l’ampicilline alors même que celle-ci n’était pas encore commercialisée pour l’homme... Pour expliquer cet anachronisme apparent, les chercheurs ont fait le lien avec la pénicilline distribuée régulièrement voici 70 ans aux bœufs et vaches en Amérique du Nord et en Europe pour les faire grossir. Ce qui a pu « favoriser la propagation de gènes de résistance chez l’homme » avance l’étude. Cette découverte a accentué encore l’urgence de la lutte contre la résistance aux antibiotiques, sachant que celle-ci cause chaque année 25 000 décès en Europe.
Les agences sanitaires pressent médecins et vétérinaires de limiter au maximum le recours à ces molécules. Réduire leur usage dans les élevages, c’est l’objectif des plans Ecoantibio lancés depuis 2012. Une mission en bonne voie puisqu’en 2018, les éleveurs avaient baissé leur consommation d’antibiotiques de 45% en huit ans. Pour cela, ils ont dû trouver des traitements alternatifs comme l’homéopathie, la phyto-aromathérapie ou l’acupuncture. Paradoxe de l’histoire, les médecines par les plantes sont à la fois encouragées en santé vétérinaire par les agences sanitaires et sanctionnées par la réglementation. Résultat, éleveurs et vétérinaires travaillent au quotidien sur le fil de la légalité.
Localement, les alternatives aux antibiotiques ont le vent en poupe
Exemple en Puisaye, au cœur de la Bourgogne, où Maël Ackermann surveille de près le premier vélage d’une de ses génisses. La mise-bas est un peu compliquée, une veine lâche dans l’utérus et sur les conseils de son vétérinaire, le jeune éleveur bovin désinfecte alors sa bête avec de l’huile de tournesol et de l’huile essentielle de tea tree. Pas vraiment le temps de se demander si c’est réglementaire ou non, Maël constate surtout que le traitement a très bien fonctionné. En conversion bio depuis deux ans, il privilégie largement les soins naturels pour la santé de ses vaches laitières :
« En allopathie, on ne cherche pas la cause du mal de l’animal, on traite seulement le symptôme. On va donner un antibio pour une inflammation de mamelle par exemple mais la mammite va revenir quelques mois plus tard. En médecine alternative, c’est une autre approche : on regarde quel organe est touché exactement et on agit au long cours pour éviter que ça ne se reproduise. On travaille beaucoup en préventif ». Une démarche soutenue par Bio Bourgogne qui a formé plus de 200 éleveurs de la région aux méthodes d'aromathérapie, acupuncture, ostéopathie et homéopathie.
En élevage bio, ils sont ainsi 70 à 80% à recourir à ces thérapies alternatives selon l’Institut technique de l’agriculture biologique (ITAB). Une pratique de plus en plus utilisée aussi par les éleveurs conventionnels. D’autant que les différents plans Ecoantibio de l’Etat, destinés à limiter la consommation antibiotique, préconisent ouvertement de favoriser « les produits phytothérapeutiques et homéopathiques ». Et pourtant, la réglementation actuelle n’autorise pas vraiment le recours à ces soins naturels.
Une règlementation à revoir
En santé animale comme humaine, tout médicament doit passer une série de tests pour obtenir le sésame de l’Autorisation de mise sur le marché (AMM). Or actuellement, seulement huit médicaments vétérinaires à base de plantes sont autorisés : « C’est incohérent : une vache va manger du pissenlit dans le pré, ça ne pose de problème à personne, en revanche si nous l’utilisons comme diurétique pour la soigner c’est interdit. Mais si on déclare qu’on l’utilise en additif, ou bien en complément alimentaire pour améliorer sa digestibilité, alors là c’est autorisé ! » déplore Catherine Experton de l’ITAB.
De fait, les éleveurs comme les vétérinaires sont obligés de flirter avec la loi pour traiter naturellement les animaux. Le praticien Michel Bouy du cabinet vétérinaire Antikor, qui utilise phyto et aromathérapie, en a fait les frais avec convocation devant la chambre de discipline de l’ordre des vétérinaires. Même alerte pour une éleveuse bio de chèvres à Bordeaux, épinglée par la Préfecture, pour avoir soigné son troupeau avec des plantes. Indignés et lassés par une réglementation jugée hypocrite, ils sont 1052 à avoir signé en 2019 « Le manifeste des éleveurs et éleveuses hors la loi » pour témoigner ouvertement et faire avancer le débat sur les soins naturels en santé animale.
Des obstacles à dépasser
Les vétérinaires de leur côté se mobilisent également avec la création du RéPAAS, un réseau professionnel de phyto-aromathérapie « Il faut accepter de sortir des limites de la médecine basée uniquement sur des preuves scientifiques (evidence based medecine) alors que la phytothérapie est utilisée empiriquement depuis des millénaires. Bien entendu, nous avons besoin de beaucoup plus d’études étayées sur l’efficacité et la non-nocivité des plantes sur la santé animale. Nous avancerons sur ce débat seulement si nous mutualisons nos expériences, vétérinaires comme éleveurs », propose Isabelle Lussot membre du comité de pilotage.
De fait, les réunions interprofessionnelles se multiplient tous azimuts depuis quelques années. L’ITAB a créé un collectif « Plantes en élevage » et participe régulièrement à des réunions avec des réseaux vétérinaires. Même les agences de sécurité sanitaires « prennent parfaitement la mesure de l’inadéquation de la réglementation actuelle », selon Sébastien Perrot, enseignant-chercheur et pharmacien à l’Ecole vétérinaire d’Alfort. Il participe aux tables rondes et explique que « l’Anses nous incite à travailler à une solution pour que les plantes puissent être officiellement utilisables en santé animale. Nous pourrons proposer cette solution aux instances européennes en 2022 quand la France prendra la présidence du Conseil ».
Actuellement, pour qu’une plante puisse être utilisée comme médicament chez les animaux de rente il faut des études sur les « limites maximales de résidus » (LMR). C’est-à-dire contrôler qu’il ne reste pas de molécules dangereuses issues de ces plantes dans la viande, les oeufs ou le lait, destinés à la consommation humaine. « Et là c’est l’impasse, car aucun laboratoire ne veut investir dans des études LMR très coûteuses et non rentables. Comme il n’est pas possible de breveter une plante, un laboratoire ne pourra pas avoir le monopole de médicaments fabriqués avec cette plante et ses études bénéficieront à la concurrence », analyse Sébastien Perrot. Quant à la recherche publique, il semble que ces sujets intéressent peu car peut-être pas assez prestigieux pour figurer dans des publications. Pour faire avancer cette cause qui lui tient à cœur, l’enseignant-chercheur a non seulement œuvré d’arrache-pied pour monter le premier diplôme inter-école (DIE) de phytothérapie vétérinaire en formation continue, dispensé depuis 2018 dans le réseau des quatre écoles vétérinaires reconnues en France. Mais il ambitionne à présent de monter une grande base de données inter-écoles alimentée par les cas pratiques d’animaux soignés avec des plantes par des vétérinaires. Une initiative intéressante qui gagnerait sans doute à intégrer aussi les éleveurs dans la démarche.
Or, c’est là où le bât blesse encore un peu. Car si tout le monde s’accorde sur la nécessité d’ouvrir la législation sur les soins naturels en santé animale, chacun veut pratiquer comme il l’entend. Les éleveurs demandent plus d’autonomie dans les soins en phyto et aromathérapie qu’ils utilisent parfois depuis des décennies, de leur côté les vétérinaires s’inquiètent d’une automédication jugée potentiellement problématique en l’absence d’un diagnostic professionnel. « Si nous voulons avancer et dépasser ces freins, nous devrons réfléchir à des modalités de collaboration entre éleveurs et vétérinaires, en mettant en commun les connaissances de chacun » avance Isabelle Lussot.
Aller de l'avant
Des antagonismes qui semblent d’un autre âge à Marion Chauveau, jeune éleveuse bio de chèvres dans le Morbihan. Pour soigner ses poitevines, elle s’appuie sur un vétérinaire conventionnel qu’elle appelle pour des interventions mécaniques et sur une autre formée en médecine alternative : « Nous sommes tous les trois dans une relation de confiance. Lorsque j’ai un souci, j’appelle ma véto spécialisée en médecine alternative et je lui explique mon « diagnostic » et ce que je compte donner à mes chèvres. Soit elle confirme que j’ai raison, soit elle préfère passer voir. Mon vétérinaire conventionnel lui n’y voit aucun inconvénient bien qu’il ne connaisse pas les médecines naturelles ».
Marion axe ses soins beaucoup sur la prévention à l’aide notamment de vinaigre de cidre, d’argile, de tisane de foin aussi « le sevrage des petits » ainsi que la pratique ancestrale du houx accroché dans la chèvrerie pour éviter les dermites des nouveaux-nés. Les huiles essentielles de cèdre et pin sylvestre sont utilisées en olfactothérapie pour lutter contre les parasites pulmonaires. Quant au lierre ou autres plantes dépuratives, les chèvres se servent directement dans la nature. Ce qui a donné une idée à Marion : développer une « prairie pharmacie » avec des plantes médicinales locales. La moitié de son troupeau y aura accès et le reste pâturera dans une prairie classique : « Je pourrai alors observer quelles plantes médicinales consomment mes chèvres, à quel moment et les effets sur leur santé ». Une étude, conduite à plusieurs éleveurs et soutenue par un réseau régional, qui pourrait avoir valeur d’exemple. Cette idée ingénieuse a surtout l’avantage de la simplicité, sans besoin de réglementations alambiquées, sans « evidence based medecine », redonnant aussi aux animaux le pouvoir de s’auto-soigner. Une capacité qu’ils utilisaient déjà bien avant leur domestication par l’homme.
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Références :
https://pubmed.ncbi.nlm.nih.gov/29198740/
https://www.interbev.fr/wp-content/uploads/2020/01/inra-pa-david.pdf
https://agriculture.gouv.fr/ecoantibio
http://www.plantesenelevage.fr/
https://alforpro.vet-alfort.fr/course/view.php?id=247
https://www.facebook.com/Ch%C3%A8vrerie-Kerl%C3%A9bik-572257252860248/timeline/
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