Sabrina Debusquat
Pour certaines personnes atteintes de troubles cutanés, le recours aux crèmes à la cortisone est un vrai problème. Et pour cause, dès qu’ils cessent d’utiliser leur dermocorticoïde, leurs lésions s’étendent et s’aggravent, et seule une nouvelle application soulage temporairement, générant un cercle vicieux de dépendance.
Alors qu’aux États-Unis des associations de patients alertent, la France accuse encore du retard sur le sujet ; elle peine à diagnostiquer ces patients désespérés et à leur proposer des solutions. Sur Internet, le hashtag #TSWwarrior a été utilisé à plus de 15 000 reprises pour évoquer le combat des victimes du « Topical Steroid Withdrawal Syndrome » : le syndrome de sevrage aux dermocorticoïdes connu aussi sous le nom d’addiction aux dermocorticoïdes ou encore de syndrome de la peau rouge. Les images choc montrent des patients désespérés, parfois atrocement défigurés, à la peau extrêmement rouge, gonflée ou qui pèle, et qui décrivent comment leur vie est devenue un enfer depuis qu’ils utilisent un dermocorticoïde.
Certains n’arrivent plus à dormir tant ils se grattent, d’autres dépriment et se coupent de toute vie sociale, car leurs rougeurs ou leur peau qui pèle leur font honte. Ce qu’ils dénoncent ? La plupart d’entre eux ont scrupuleusement suivi les recommandations de leur dermatologue, et c’est depuis qu’ils appliquent une crème contenant de la cortisone que leurs problèmes de peau ont empiré de manière exponentielle.
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Le mal dont souffrent ces patients est iatrogène, c’est-à-dire qu’il est causé par un médicament, en l’occurrence leur crème à la cortisone. Il recouvre en réalité deux phénomènes : l’allergie au dermocorticoïde et la dépendance qui s’installe suite à cette allergie.
L’allergie aux dermocorticoïdes est décrite dans la littérature scientifique depuis les années 1950. Elle reste pourtant aujourd’hui méconnue. Et pour cause, elle serait difficile à distinguer de la maladie de peau initialement traitée. En France pourtant, dès 2004, la revue indépendante de médecine générale Prescrire alertait : « Des manifestations allergiques sont imputables aux corticoïdes, quel que soit leur mode d’administration. La voie cutanée est souvent en cause. […] Le diagnostic clinique d’une dermite allergique de contact à un dermocorticoïde est difficile à poser dans la mesure où les symptômes sont rarement très intenses (les propriétés anti-inflammatoires du corticoïde masquent la réaction allergique) et passent souvent inaperçus, mêlés aux symptômes de l’atteinte cutanée qui a motivé l’usage du dermocorticoïde. »
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Le second phénomène de ce syndrome est la dépendance aux dermocorticoïdes. Elle consiste en une persistance et en une aggravation de la maladie de peau à l’arrêt du dermocorticoïde et ce, dès les toutes premières utilisations. Entre deux applications, le patient développe des rougeurs, des brûlures, des atrophies du derme, une hyperpigmentation ou une forme chronique de sa maladie. C’est le cercle vicieux : seul le dermocorticoïde semble calmer ses poussées, mais plus il applique de crème, plus il entretient l’allergie.
D’après les études, ce phénomène toucherait jusqu’à 5 % des patients traités aux dermocorticoïdes, particulièrement concernant les pathologies du visage, des mains ou des jambes. En France, si l’on compte uniquement les trois maladies de peau inflammatoires les plus courantes (eczéma, psoriasis et eczéma de contact) pour lesquelles le traitement de première intention est souvent le dermocorticoïde, cela représente jusqu’à 310 000 patients adultes concernés chaque année.
Si l’aggravation de la maladie apparaît immédiatement après les premières applications, cela suggère une allergie. Si la dépendance à la cortisone apparaît après trois mois à un an de traitement, c’est plus probablement un syndrome de la peau rouge (ou encore « rosacée stéroïdienne »), c’est-à-dire l’apparition d’une brûlure caractéristique sévère et rougeâtre qui survient généralement après un dosage et une fréquence d’applications croissantes de dermocorticoïdes (3).
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Pour Anaïs, Parisienne de 33 ans victime de ce syndrome et créatrice du compte Instagram tsw_paris qui sensibilise à ce syndrome : « Non seulement les médecins français ignorent tout bonnement l’existence de ce syndrome, mais surtout ils n’écoutent pas ou ne croient pas les patients qui leur en parlent. » Elle résume : « Alors que nos symptômes sont pourtant caractéristiques et bien visibles, aucun médecin ne nous croit et rien ne bouge pour les patients ! On se sent abandonné et beaucoup restent sans suivi médical… C’est honteux, nous n’avons pourtant aucun intérêt à inventer cela. »
En effet, comme le rappelle une étude, publiée en février 2020, dans la Revue française d’allergologie(4) : « L’allergie aux corticostéroïdes reste largement méconnue par un grand nombre de cliniciens parmi lesquels beaucoup sont prescripteurs de ces médicaments .» La Société française de dermatologie elle-même ne mentionne ni ne diffuse aucun document à ce sujet. Nous l’avons sollicitée à plusieurs reprises, mais nos demandes sont restées lettre morte.
Ce phénomène d’allergie étant mentionné sur les notices de la plupart des dermocorticoïdes, on peut s’étonner que les généralistes et les dermatologues le méconnaissent aussi massivement. Un tour sur le Vidal permet d’obtenir une piste d’explication.
Concernant certains dermocorticoïdes comme le Diprosone, il est précisé : « Ce médicament a souvent une action efficace et rapide sur les lésions de la peau. Il peut être tentant de le réutiliser, mais l’automédication expose à des risques importants : aggravation de certaines lésions, installation d’une dépendance (amélioration de moins en moins visible des lésions et recrudescence des symptômes à chaque arrêt de traitement) et altération durable de la peau .»(5)
Il semblerait que la seule raison envisagée d’une dépendance aux dermocorticoïdes soit « l’automédication ». Ceci expliquerait pourquoi tant de patients concernés ne sont pas crus par leur médecin qui attribue leurs symptômes à un mauvais usage.
Aux États-Unis, des associations de patients, comme l’International Topical Steroid Awareness Network (Itsan) qui « sensibilise au syndrome de sevrage aux dermocorticoïdes », sont créées pour médiatiser le phénomène. Des livres et des documentaires sont diffusés sur le sujet, mais la France accuse du retard.
Pour les patients atteints, comment sortir de ce cercle vicieux ? La solution la plus couramment évoquée reste l’arrêt pur et simple des dermocorticoïdes. Mais cet arrêt est souvent compliqué, car il est suivi de flambées inflammatoires et de rebonds difficiles à supporter. Comme le précise l’Itsan, le temps de guérison se mesure souvent « en mois ou en année », et il n’existe actuellement « ni médicament ni méthode ni traitement éprouvé » qui accélère le processus.
Si vous pensez être atteint du syndrome d’addiction aux dermocorticoïdes, consultez un médecin avant toute décision car, comme le précise l’association : « L’arrêt des dermocorticoïdes lorsque les glandes surrénales sont gravement déprimées [et si application intensive et sur de grandes surfaces] peut entraîner une crise surrénale, qui peut s’avérer mortelle. » En ce cas, un sevrage progressif ou le passage à un dermocorticoïde d’activité plus modérée sera conseillé.
Des molécules comme le pimecrolimus topique sont actuellement testées pour voir si elles permettent une meilleure tolérance que la cortisone, mais les résultats ne sont pour l’heure pas favorables. Enfin, des tests par le biais de patchs peuvent permettre, en prévention, de tester l’allergie à telle ou telle molécule avant de faire un traitement.
Les dermocorticoïdes sont classés selon une classification ABCD. Ceux qui génèrent le plus de réactions d’allergies sont ceux des groupes A et D2 (prednisolone, médrysone, budésonide, hydrocortisone). Ceux qui en génèrent le moins sont les C et D1 (bêtaméthasone, fluocortolone, méprednisone, beclométhasone, etc.). Vous pouvez également développer des « allergies croisées », c’est-à-dire devenir subitement allergique à un type de crème à la suite d’une sensibilisation par une autre.
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