Sabrina Debusquat
Dans le milieu médical et scientifique, les expertises publiées par la Collaboration Cochrane (une organisation internationale indépendante à but non lucratif) ont un poids très important et une influence majeure, elles sont internationalement reconnu pour aider à statuer sur l’efficacité de tel ou tel traitement, médicament, ou de telle ou telle thérapie. Ses membres, des chercheurs et scientifiques des quatre coins du monde, regroupent de manière indépendante et rigoureuse le meilleur des études scientifiques existantes sur un sujet pour faire le point sur ce que la science sait à un instant T sur un sujet donné.
Au début des années 1990, Peter Gøtzsche, médecin et chercheur biologiste danois participe à co-fonder la Collaboration Cochrane. En 2018, alors qu’il dirige le Centre Cochrane d’Europe du Nord, il fait l’objet d’un licenciement soudain, survenu peu de temps après qu’il ait dénoncé publiquement des comportements au sein de la Collaboration favorisant, selon lui, l’industrie pharmaceutique.
Trois ans après ce limogeage, le principal concerné et une ex collaboratrice dévoilent les retranscriptions de ce qu’ils décrivent comme étant les enregistrements de la réunion ayant mené à ce licenciement.
Il y a quelques années de cela, l’organisme, dont la réputation brillait presque sans anicroches, a commencé à voir apparaître des dissensions internes concernant son positionnement vis-à-vis de l’industrie pharmaceutique. Certains membres historiques, dont Peter Gøtzsche, auraient reproché à d’autres de « prendre le parti de l’industrie pharmaceutique ». À la suite de plusieurs conflits entre Gøtzsche et d’autres membres du conseil d’administration, le chercheur a finalement été évincé de l’organisme en 2018 et n’a cessé, depuis, de clamer publiquement que la raison officieuse de ce limogeage brutal était son positionnement sans concession envers l’industrie. « L'industrie sera ravie », avait alors déclaré un membre du conseil d’administration devant ses collègues, avertissant que Cochrane créait un dangereux précédent dans lequel les représentants de l'industrie n'avaient qu'à « écrire une plainte à Cochrane et Cochrane cède sous la pression ».
Depuis, les spéculations allaient bon train, et, finalement, personne ne savait ce qui s’était réellement passé lors du conseil d’administration qui avait mené au licenciement de Gøtzsche. Mais le 13 septembre dernier, Peter Gøtzsche lui-même a publié ce qu’il prétend être une retranscription d’un enregistrement audio de cette réunion qui soulèverait des questions sur la légitimité des raisons de son licenciement. Une de ses ex-collaboratrices, Maryanne Demasi (ancienne chercheuse ayant un doctorat en rhumatologie et désormais journaliste santé reconnue), en a également effectué un résumé sur son site.
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Bien que nous n’ayons pas pu accéder directement à ces enregistrements, et que leur retranscription émane d’une partie prenante de l’affaire, ils révéleraient, s’ils s’avéraient vrais, la façon peu reluisante dont un chercheur indépendant et sans concession vis-à-vis de l’industrie a pu être injustement accusé de « troubles du comportement » afin d’être évincé d’un organisme dont chaque publication a un poids important dans les politiques de santé publique de nombreux pays.
En effet, cette retranscription illustre les fortes tensions internes à la Collaboration Cochrane et semble laisser penser que sans la voix de Martin Burton (devenu en 2011 directeur du Centre Cochrane du Royaume-Uni), connu pour être en conflit ouvert avec Peter Gøtzsche, ce renvoi n’aurait pas été voté. On y apprend également que, visiblement gênés par le fait que Gøtzsche révèle publiquement et à plusieurs reprises ses opinions sur la complaisance de la Collaboration Cochrane envers l’industrie, les membres du conseil auraient cherché un moyen pour tenter de « sauver la face » publiquement. Comme le résume Gøtzsche lui-même en introduction de son document de retranscription des enregistrements : « Les deux coprésidents n'avaient aucune raison légitime de m'expulser. Même leur propre avocat n'a pas été en mesure de produire des preuves qui auraient pu justifier cette sanction sévère. Ils ont donc inventé une histoire sur mon soi-disant mauvais comportement [et] ont concocté un récit établissant des parallèles entre moi et les prédateurs sexuels. »
Comme bien souvent dans ce type d’affaires où les querelles internes semblent se mélanger à d’autres intérêts, il est impossible pour le citoyen lambda de démêler le vrai du faux et de savoir précisément ce qu’il en est. Ce que l’on peut dire en revanche, c’est que Peter Gøtzsche est un chercheur internationalement reconnu qui a maintes fois fait preuve de son intégrité, notamment dès lors qu’il s’est agi de défendre les intérêts d’une science indépendante des influences de l’industrie pharmaceutique.
Sur son propre site Internet (Deadlymedicines) et à travers l’Institut pour la liberté scientifique qu’il a fondé à la suite de son éviction de la Collaboration Cochrane, Peter Gøtzsche continue de faire entendre sa voix pour une médecine et une recherche totalement indépendantes et éloignées des intérêts de l’industrie pharmaceutique. Il a notamment publié de nombreux contenus ayant pour but d’illustrer la véracité de ses propos concernant ce qu’il qualifie de véritable « effondrement moral » de la Collaboration Cochrane.
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Sources :
« The Cochrane Tapes reveal one of the worst show trials ever conducted in academia », Scientificfreedom.dk, 13 septembre 2021.
« The Cochrane Tapes » par Maryanne Demasi, Maryannedemasi.com, 13 septembre 2021.