Clara Delpas
Les pesticides devraient afficher tous leurs ingrédients sur l'étiquette, être évalués pour leur toxicité tels qu'ils sont commercialisés, en conditions réelles. À long terme, toutes les études relatives à leur évaluation devraient être rendues publiques... car les fabriquants de pesticides ne semblent pas vraiment dignes de confiance, vu que, selon toute évidence, ils ne sont pas vraiment très transparents : en octobre 2020, une étude scientifique (1) a révélé, pour 14 pesticides vendus dans l’Union européenne, la présence de composés toxiques tels que du plomb, de l'arsenic ou encore des HAP (hydrocarbures aromatiques polycycliques)... sans que cela figure sur l'étiquette.
En réaction, des associations ont uni leurs forces pour mener une campagne citoyenne, ralliant également parlementaires et scientifiques : « Secrets toxiques » interpelle depuis décembre 2020 les agences sanitaires responsables de leur mise sur le marché, en France et dans l'Union européenne. Cette campagne citoyenne diffuse une pétition demandant la révision de la législation.
En juin et en septembre 2021, l'Agence européenne de sécurité des aliments (EFSA) a reçu les représentants de « Secrets toxiques » accompagnés de cinq eurodéputés (Claude Gruffat, Benoît Biteau, Michèle Rivasi, Manuel Bompard et Éric Andrieu) afin de leur expliquer comment la règlementation était appliquée. Les pétitionnaires ont alors découvert que l'évaluation des pesticides était conduite par une simple modélisation théorique. Autrement dit, l'EFSA ne procède pas à l'évaluation de la toxicité du produit sur la base du produit tel qu'il va être commercialisé, mais sur la base de la toxicité de chacun des composés déclarés comme entrant dans sa composition et pris individuellement (Adverse Outcome Pathway).
La validité de cette méthode interroge : quid de l'effet cocktail lié à l'action synergique des constituants ? Et quid de l'évaluation d'un produit dont on ne connaît même pas tous les ingrédients ? Comme le rappelle Michèle Rivasi, députée européenne EELV « L'EFSA doit demander des comptes aux fabriquants ! ». De plus, comment admettre qu'il ne soit pas prévu d'autre évaluation que cette simple modélisation ? L'EFSA devrait évaluer tous les pesticides en vie réelle, ce qu'elle se refuse de faire... au motif qu'il faudrait pour cela faire des essais sur de nombreux animaux, ce qui serait contraire aux directives européennes sur le bien-être animal.« En attendant, les animaux, c'est nous! » tonne François Veillerette de l'ONG Générations futures. « C'est une position bien cynique que celle de l'autorité européenne, commente Benoît Biteau, député européen EELV, quand on sait que les pesticides sont responsables de la disparition de 40 % des cortèges d'oiseaux et d'insectes en Europe ».
Mais surtout, cerise au glyphosate sur le gâteau, en étudiant les données de l'EFSA, « Secrets toxiques » a également pu constater qu'aucune de ces données ne portait sur l'évaluation de la toxicité à long terme ! Certes, on comprend ainsi mieux pourquoi, en 2017, l'EFSA continuait à affirmer que le glyphosate n'était pas cancérigène, sans vouloir montrer aucune des études qui lui avait permis d'aboutir à cette conclusion, alors que le Circ (Centre international de recherche sur le cancer) affirmait, études à l'appui, qu'il l'était...
Mêmes travers auprès de l'Anses (Agence nationale de sécurité sanitaire) : le 25 novembre 2021, Secrets toxiques, accompagné de trois parlementaires (Loïc Prud’homme, Joël Labbé, Dominique Potier), rencontrait l'Agence. Selon Loïc Prud'homme, député français LFI (France insoumise) « L'Anses est une agence qui fabrique du doute. Elle se réfugie derrière l'absence de moyens et fait confiance aux fabriquants ». L'instance n'a d'ailleurs toujours pas répondu , rappelle-t-il, à la saisine qui lui a été faite en 2018 pour que la France puisse sortir du glyphosate...
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La pétition de « Secrets toxiques » a été adressée au Parlement européen qui l'a auditionnée le 7 février dernier. Et bien que lors de cette audition, Klaus Berend, directeur général de la santé et de la sécurité alimentaire de la Commission européenne, se soit défendu de tout cynisme, justifiant à la fois que les fabriquants ne pouvaient être tenus de révéler tous leurs secrets industriels, que les méthodes d'évaluation retenues étaient scientifiquement éprouvées, et qu'il était impossible d'étudier des effets à long terme des pesticides faute de méthodes in vitro validées, la commission des pétitions du Parlement européen a décidé de la maintenir ouverte . Cette pétition devrait être prochainement présentée aux commissions ENVI et AGRI, respectivement chargées de l'environnement et de l'agriculture auprès du Parlement européen... En attendant, tous les citoyens européens peuvent continuer à la signer !
(1) Seralini, G. E., & Jungers, G. (2020). Toxic compounds in herbicides without glyphosate. Food and Chemical Toxicology, 146, 111770