Élise Kuntzelmann
Ce livre vient certes compléter le précèdent, mais il a pour objectif d’insister sur de nouveaux aspects de la prévention cardiovasculaire. Car depuis la publication de Prévenir l’infarctus et l’AVC, j’ai acquis de l’expérience, du vécu. L’ouvrage que je publie aujourd’hui présente de nombreux cas cliniques et rapporte les progrès réalisés en quinze ans, qui permettent une approche nouvelle de la prévention. Le principal apport de ces dernières années est l’émergence d’une médecine moderne, la médecine de précision, qui fait appel à plusieurs spécialités et façons de pratiquer. J’essaie ainsi de montrer les progrès techniques accomplis dans le diagnostic et le pronostic des maladies cardiovasculaires. J’explique la compréhension nouvelle de la naissance de ces maladies (les formes lentes et progressives) puis les mécanismes à l’origine des complications aiguës, les plus dangereuses. Je montre comment certaines conditions d’existence et certains modes de vie peuvent favoriser celles-ci. J’évoque également les médicaments qui peuvent être utiles, parfois indispensables. L’idée est de s’adresser autant aux familles et aux patients qu’aux médecins.
C’est un concept médical nouveau et chacun peut le définir à sa manière. Je donne ici ma définition : c’est une médecine qui utilise tous les progrès techniques, diagnostiques – imagerie et biologie, notamment – et thérapeutiques, et les applique de façon individualisée à chaque patient, c’est-à-dire jamais en suivant un protocole général défini par des sociétés savantes ou des experts liés à des industriels. En bref, c’est une médecine à la fois scientifique et hyperhumanisée, qui considère que chaque personne est un cas particulier nécessitant une approche et des soins personnalisés, que chaque personne en souffrance et en demande de soins est précieuse. C’est le contraire de la médecine protocolaire de masse qui sévit dans nos sociétés et dont les principes de base sont l’utilisation des technologies de façon systématique et la plus rentable possible sur le plan commercial. Mais pour pouvoir profiter de cette médecine de précision, il va falloir l’exiger.
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Parmi les technologies sophistiquées qui permettent de mieux comprendre les particularités de chaque patient, je cite l’IRM qui est, selon moi, indépassable pour la détection d’anomalies structurales ou acquises du myocarde ou du péricarde. Une technique dérivée de l’IRM est l’ARM (angiographie par résonance magnétique) utilisée pour l’analyse des vaisseaux cérébraux. Le coroscanner est à mon avis potentiellement plus intéressant que l’IRM pour l’étude des artères coronaires. Cette technique d’imagerie à base de rayon X permet de visualiser les artères coronaires de façon non invasive. Il est parfois important d’enregistrer l’électrocardiogramme sur de longues périodes pour comprendre certains symptômes (palpitations, malaises, syncopes…) ou pour affirmer le type d’arythmies cardiaques que l’on soupçonne. Un diagnostic à ne pas rater est celui de prémices d’arythmies ventriculaires malignes qui peuvent terrasser quelqu’un en quelques minutes. Celles-ci sont identifiables avec les montres connectées haut de gamme qui peuvent rendre de grands services en médecine de ville et à une époque où il devient difficile de consulter par manque de généralistes. Une autre arythmie à pas rater est la fibrillation auriculaire (FA). Or, une période d’enregistrement de 48 heures est insuffisante pour exclure des épisodes de FA. Comme il est impossible de laisser des électrodes sur la peau plus de 48 heures, a été proposé l’implantation sous la peau d’un Holter, un appareil miniaturisé qu’on peut garder plusieurs mois…
Le mode de vie inclut divers paramètres, dont les habitudes alimentaires. Le régime méditerranéen, par exemple, peut sauver des vies dans des populations à culture très diversifiée mais, inversement, des modèles alimentaires inappropriés peuvent précipiter vers des complications inattendues. J’insiste sur l’idée que ce régime n’est pas figé et peut être modernisé en fonction des zones géographiques, des habitudes culturelles et d’autres facteurs individuels.
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Au-delà de l’imagerie, il faut également inclure la biologie du patient. Je pense au concept de prédisposition à l’hypercoagulation, qui permet d’ouvrir un nouveau chapitre de la médecine préventive cardiovasculaire. Cette prédisposition n’est pas d’une maladie, mais plutôt une caractéristique physiologique avec des avantages et des inconvénients, qui en général n’est pas à elle seule la cause principale de l’infarctus et de l’AVC. Celles-ci sont des pathologies multifactorielles complexes où, a un moment et par malchance, se croisent divers facteurs contributeurs incluant ceux du mode de vie et de l’hérédité. Le vieillissement, par exemple, avec des altérations de notre physiologie et l’évolution de pathologies longtemps bénignes (plaques d’athérosclérose) vers des pathologies plus dangereuses est un facteur contributeur important. Dans ce contexte, l’hypercoagulation participe à ces pathologies sans en être la cause unique. Il est pourtant crucial de l’identifier car il est possible de la neutraliser, au moins partiellement. Ainsi, on diminue d’autant la probabilité d’un infarctus ou d’un AVC.
Cela ne fera pas disparaître totalement le risque, certes, mais ce peut être salvateur. Des examens de médecine de ville permettraient déjà d’investiguer beaucoup plus ces aspects mais cela n’est pas utilisé pour le moment. Or certains examens ne nécessitent ni un appareillage trop dispendieux ni des opérateurs très expérimentés, tel l’écho-doppler des troncs supra-aortiques, qui permet de voir l’anatomie des artères du cou et de mesurer le débit sanguin dans ces artères. Une nouvelle approche du système de soin doit donc être envisagée et c’est urgent. Ce doit être l’occasion d’une large concertation, mais, à mon avis, une des solutions du côté des soignants – en laissant de côté les aspects administratifs, organisationnels et économiques du système de soin – réside, j’insiste, dans le concept de médecine de précision. Pour beaucoup de soignants conscientisés, c’est cette médecine qu’ils veulent pratiquer.
L’objectif n’est pas de rechercher une hérédité concernant le cholestérol, mais concernant les maladies cardiovasculaires. Ce point est important, car pour la médecine conventionnelle, il y a équivalence entre cholestérol élevé et risque de maladies cardiovasculaires. Pour eux, infarctus (ou AVC) et cholestérol sont deux items presque équivalents ; ce qui est inexact. Le cholestérol ne bouche pas les artères. Quant à l’hypertension artérielle, il ne s’agit pas simplement d’un chiffre comme l’expriment les médiocres pratiques actuelles. Il faut arrêter de donner des médicaments antihypertenseurs à des patients présentant une pression artérielle de 14 ou 15 au cabinet. Le diagnostic doit être beaucoup plus précis. Ce qui compte, c’est que la pression baisse durant la nuit. Bien entendu, toute maladie a une cause. Encore faut-il la chercher. Dans l’hypertension, il est fréquent qu’une dérégulation du système nerveux autonome soit à suspecter. À cela doit venir se greffer l’enquête sur le mode de vie. Des facteurs tels que la sédentarité, les habitudes alimentaires, des souffrances familiales ou professionnelles éventuelles sont à investiguer avec patience. Il faut laisser aux patients le temps de s’exprimer. Aujourd’hui, trop souvent, on traite des chiffres, pas des gens.
* Comment échapper à l’infarctus et l’AVC, éd. Thierry Souccar, 288 p., 26,90 €.