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Les énergies fossiles auront-elles raison de nous ? - Barbara Demeneix

Pour la chercheuse Barbara Demeneix, les perturbateurs endocriniens issus des énergies fossiles pourraient venir à bout de l’espèce humaine avant le changement climatique. Loin d’être réjouissant, son dernier ouvrage* est pourtant indispensable à qui veut comprendre comment les menaces affectant notre santé s’entremêlent pour former un engrenage destructeur.

Élise Kuntzelmann

Pouvez-vous expliquer le lien fort entre notre santé, le climat et la biodiversité ?

L’argument central de mon livre est que les trois grandes menaces à l’encontre de notre civilisation – le changement climatique, la perte de biodiversité et la pollution chimique – sont bien plus étroitement liées que nous ne le pensions. Leur dénominateur commun est la surconsommation de combustibles fossiles (pétrole, charbon, gaz naturel…). Bien que ce lien soit établi, on sait moins que de nombreux polluants chimiques (pesticides et plastiques en tête) sont eux aussi dérivés des combustibles fossiles. Je rappelle que les pesticides sont omniprésents dans l’eau courante, dans nos aliments et dans l’environnement. Quant à la production de plastique, elle est une importante source de pollution chimique, qui contamine l’atmosphère et notre environnement. Je cite souvent Theo Colborn : cette zoologiste et épidémiologiste a été l’une des premières scientifiques à faire le lien entre ces trois menaces. Elle a aussi compris que les conséquences les plus graves pour les populations découleraient davantage de la perturbation endocrinienne que du changement climatique. Même s’il est difficile d’évaluer précisément lequel de ces trois phénomènes affecte le plus l’humanité, il est certain qu’ils se renforcent en formant une combinaison potentiellement mortelle pour bien des gens, particulièrement les personnes aux revenus les plus modestes.

Selon un rapport de la Health and Environment Alliance, la santé humaine s’améliorerait si l’on cessait de subventionner les combustibles fossiles. Pouvez-vous développer ?

Ce rapport de 2017 de la Heal conclut que les subventions allouées aux combustibles fossiles s’élèvent, pour l’ensemble de la planète, à 444 milliards de dollars par an. Les dépenses de santé qui en résultent sont, elles, de 2 700 milliards de dollars, soit six fois plus. L’arrêt du financement des combustibles fossiles mettrait en route un cercle vertueux passant par une diminution de la pollution de l’air, laquelle entraînerait une baisse des coûts des maladies respiratoires (qui affectent de nombreux enfants) et des maladies cardio-vasculaires, mais aussi une réduction de la mortalité précoce.

Vous insistez sur le fait que les conséquences de la pollution chimique sont exacerbées par le changement climatique. Avez-vous un exemple ?

Je pourrais vous inonder d’exemples ! Certains chercheurs se sont penchés sur les effets du chlorpyrifos, un pesticide organophosphoré [que l’on utilise pour le traitement des fruits et légumes, notamment les épinards, NDLJ]. Ils ont découvert que ce produit avait une influence très forte sur le système endocrinien des poissons au cours de leur développement. Les poissons baignant dans ces eaux polluées grandissent moins vite, détectent moins bien les prédateurs, et, du fait de leur retard de développement, ne broutent pas les algues des coraux. Et ces effets sont aggravés par l’élévation de la température de l’eau, elle-même due au changement climatique. Tout est lié.

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Si les poissons sont en danger, nous le sommes aussi, et ce, dès le stade de conception…

Bien sûr. Le chlorpyrifos affecte aussi le cerveau humain. Globalement, les pesticides circulant dans notre organisme ont une durée de vie de plusieurs décennies. Mon équipe et moi avons montré que les mélanges de pesticides (produits perfluorés et phtalates) pouvaient faire diminuer de 10 points le QI des enfants portés in utero sept ans auparavant. Il existe un lien plausible entre les perturbateurs endocriniens de la thyroïde présents dans le liquide amniotique et l’altération du développement du cerveau.

L’épigénétique, qui étudie l’impact de l’environnement sur l’expression des gènes, a-t-elle déjà une influence au moment de la grossesse ?

Oui. La période du développement intra-utérin détermine en partie ce que sera la capacité du cerveau. L’environnement chimique du fœtus a radicalement changé ces dernières années. Certains polluants ont été documentés et beaucoup sont des substances chimiques dérivées de combustibles fossiles (plastifiants, pesticides, retardateurs de flammes, etc.) qui peuvent modifier négativement les informations épigénétiques en agissant jusqu’aux trois ans de l’enfant sur des gènes impliqués dans le développement cérébral, notamment ceux qui dépendent de l’hormone thyroïdienne.

De manière générale, comment les produits chimiques, dans ce cas appelés perturbateurs endocriniens, piratent-ils l’action de la glande thyroïde ?

La question nécessite une réponse un peu technique. L’une des fonctions de la thyroïde est de produire l’hormone thyroïdienne dont le rôle est, entre autres, de réguler l’expression des gènes dans le cerveau. Comme de nombreux facteurs environnementaux interfèrent avec les voies dépendant de l’hormone thyroïdienne, la signalisation thyroïdienne peut être vue comme une passerelle entre l’environnement et les réseaux de gènes impliqués dans le développement du cerveau. L’hormone thyroïdienne se fixe dans le cerveau à des récepteurs spécifiques, les TR. Ceux-ci changent d’activité en fonction de la quantité d’hormone disponible. Je passe les détails, mais ces TR sont une voie d’accès à travers laquelle les produits chimiques environnementaux qui entrent dans le corps peuvent affecter les programmes génétiques et les processus cellulaires qui interviennent dans le développement du cerveau.

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À quel moment agissent les perturbateurs endocriniens ?

De nombreuses études sur les perturbateurs endocriniens portent non seulement sur l’hormone thyroïdienne et les TR, mais aussi sur des structures cellulaires qui contrôlent les fonctions reproductives. Il s’agit des récepteurs aux œstrogènes (principale hormone sexuelle féminine) et aux androgènes (principale hormone sexuelle masculine). Ces récepteurs représentent des carrefours au niveau desquels les polluants environnementaux peuvent moduler les programmes génétiques et, donc, les processus cellulaires qui régissent la capacité de reproduction et la fertilité. Des composés altérant leur activité ont été associés aux cancers du sein, de la prostate et des testicules, ainsi qu’à la stérilité. De même, des polluants chimiques affectant la signalisation thyroïdienne ont été liés à des troubles du développement neurologique. Et l’exposition à des mélanges complexes de ces polluants crée un risque encore plus alarmant. La perturbation endocrinienne est responsable non seulement des troubles du spectre autistique mais aussi des troubles du développement, de la dyslexie… Les données sur la dyslexie ne sont pas légion et c’est dommage car ce trouble du langage écrit est en augmentation. Les industriels sont les principaux responsables de cet enlisement. Les données s’accumulent mais les choses peinent à changer. L’argent et le capital sont plus forts que tout.

Si la volonté de faire mieux était là, par quoi faudrait-il commencer ?

Des parades à l’une des menaces pourraient, par synergie, aider à prévenir les autres. Affronter le changement climatique grâce aux énergies renouvelables pourrait entraîner une réduction de la production de plastiques, cause majeure de la destruction de la vie marine et source de substances chimiques qui perturbent le système endocrinien. De même, un moindre recours aux pesticides, mais un investissement plus grand dans la permaculture contribuerait au maintien de la biodiversité. L’espèce humaine a survécu au premier âge glaciaire, il y a 15 000 ans de cela, grâce à sa capacité de coopération : il faut coopérer pour mieux survivre !

À lire

De Barbara Demeneix, Comment les énergies fossiles détruisent notre santé, le climat et la biodiversité, éd. Odile Jacob, 304 p., 23,90 €.

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