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Quand les expériences de mort imminente nous sauvent

Dans un ouvrage Expériences de mort imminente (éd. Albin Michel), écrit en collaboration avec un comédien belge, l’enseignant-chercheur en psychologie Renaud Évrard nous plonge dans l’univers des expériences de mort imminente (EMI). Avec l’appui de témoins et en intégrant l’ensemble des grandes hypothèses scientifiques sur ce sujet si particulier, il nous fait découvrir la complexité du fonctionnement de notre cerveau face à des situations hors du commun. Rencontre.

La rédaction

Comment définir une expérience de mort imminente ?

Ce n’est pas aussi simple que cela en a l’air. Il s’agit, pour faire court, d’une réaction face à un danger perçu comme mortel. Culturellement, cette réaction est souvent associée à des éléments tels que le tunnel dans lequel la personne partirait avec une lumière au bout qui l’amènerait dans une autre dimension, où elle pourrait à la fois voir repasser sa vie, rencontrer des gens qu’elle a perdus et également des êtres de lumière. Généralement, ce sont ces éléments-là qui, dans la culture, diffusent la notion de mort imminente. Le hic est que de nombreuses personnes présentent des réactions très étranges face à un danger, n’impliquant ni tunnel, ni lumière, ni être angélique et que je qualifierais quand même d’expérience de mort imminente, ou EMI.

D’un point de vue scientifique, où en est-on de l’interprétation des EMI ?

Plusieurs modèles scientifiques coexistent. L’un des premiers à avoir eu un grand succès populaire est celui développé par le médecin et philosophe américain Raymond Moody. Il repose vraiment sur ce que l’on va expérimenter subjectivement et spirituellement à notre mort et dévoile donc quelque chose de l’au-delà. Une autre hypothèse appelée modèle du cerveau mourant s’y oppose frontalement, en affirmant que toutes ces manifestations ne sont que des illusions ou des hallucinations, liées à l’activité du corps et plus particulièrement du cerveau en péril. Lorsque le cerveau dysfonctionne parce qu’en manque d’oxygène ou pour d’autres raisons, il générerait une sorte de bouquet final cérébral qui engendrerait toute cette expérience subjective. Il ne s’agirait donc pas de la vraie mort. Ce qui vient soutenir cette théorie est que lorsque l’on stimule directement le cerveau avec des électrodes posées sur le cortex ou par d’autres moyens, il est possible de reproduire des bouts de ce que peuvent raconter les personnes ayant vécu une EMI, par exemple la sortie du corps, la vision de tunnel et de lumière, etc. Et on en vient par conséquent à penser qu’effectivement le cerveau seul pourrait générer ce vécu. Cette approche assez réductionniste est assez bien vue du côté académique. De mon côté, je ne me retrouve ni dans l’une ni dans l’autre.

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Quelle est alors votre approche des EMI ?

Je me base sur un modèle déjà présent avant celui de Raymond Moody et davantage développé par les psychologues que par les médecins : le modèle d’une réaction adaptée à l’effroi, à la menace d’une disparition imminente. C’est en fait l’idée que l’EMI est un état non ordinaire de conscience ; une sorte de réflexe de survie mobilisant l’ensemble des ressources à la fois psychiques et corporelles pour faire face au danger. J’en suis arrivé à défendre ce modèle en écoutant des témoignages dans le cadre du Circee (lire plus bas) et j’essaie, en effet, de creuser dans cette direction.

Qu’est-ce que le Circee ?

Le Centre d’information, de recherche et de consultation sur les expériences exceptionnelles (Circee) fait suite à la thèse que nous avons soutenue, Thomas Rabeyron (aujourd’hui professeur de psychologie à Lyon) et moi-même. Nous avons créé ce réseau de scientifiques basé sur une recherche-action avec quelques psychologues cliniciens que nous avons formés et qui participent à l’accueil des demandes et au recueil des témoignages. Comme il s’agit également d’un centre de recherche, nous partageons les avancées de la recherche et en développons de nouvelles.

Et vous-même, comment en êtes-vous arrivé à étudier ces questions ?

Ni mon expérience personnelle, ni mon milieu culturel ne me prédisposaient à cela. Je dirais que cela découle de la lecture et de la curiosité scientifique que j’ai pu avoir durant mes études en psychologie et ensuite de diverses rencontres avec des chercheurs et témoins. J’ai eu l’occasion de faire un stage en Allemagne dans un service de consultation un peu similaire au Circee qui était, à l’époque déjà, bien structuré. Et puis, j’ai échangé avec des étudiants en psychologie persuadés d’avoir un fantôme chez eux ; cela m’a intrigué et je suis allé rechercher d’autres personnes partageant ce vécu.

Le témoignage de Ronald Beurms est le fil rouge de votre livre. Pourquoi son expérience est-elle si importante ?

C’est une expérience très complexe, qui regroupe tous les éléments que l’on va trouver dans une EMI. D’après moi, s’y ajoutent en plus des éléments très originaux. Pour résumer, Ronald est sur sa moto. Il roule beaucoup trop vite et la moto commence à dérailler. Il ne sait pas vraiment quoi faire. À ce moment-là, il rentre dans un état non ordinaire de conscience. Il essaie de reprendre le contrôle de sa moto. Il se rend compte qu’il ne va pas y arriver et élabore toute une stratégie pour sauter et se sauver la vie par une pirouette. Tout se passe vraiment au ralenti. Il se rend compte que c’est un projet suicidaire et rentre alors dans une autre dimension où il repère des souvenirs. L’un de ses souvenirs va lui donner une information qu’il a peut-être enregistrée enfant et qui lui explique comment reprendre le contrôle de son véhicule. Quand il récupère cette information, dans un hors-temps psychique, il se retrouve à nouveau sur sa moto et parvient à faire ce qu’il faut pour s’en sortir. Cette expérience regroupe, au final, toutes ces perceptions très étranges, très affûtées avec des pensées très accélérées qu’ont les gens ayant des opportunités de se sauver lors d’une EMI. Et également, toute cette phase de transcendance avec une revue complète de sa vie. Il ne rencontre pas forcément des entités mais se rencontre lui-même enfant. Avec cette expérience assez fascinante, l’idée était de s’éloigner des livres classiques sur les EMI qui ont tendance à dresser des inventaires de cas. J’ai voulu essayer d’expliquer au moins un cas avec tout ce que l’on sait actuellement d’un point de vue scientifique. N’ayant pas la prétention d’être le plus grand spécialiste du sujet, j’ai contacté une quarantaine de chercheurs du monde entier afin de recueillir leur avis sur le cas de Ronald.

À quelle explication cela vous a-t-il amené ?

Dans l’EMI, il y a d’abord un aspect de réflexe. C’est une rupture dans la façon dont notre esprit et notre corps collaborent habituellement. Lors d’une EMI, on va mobiliser des ressources gigantesques face à une situation qui nous semble vraiment terminale. Une partie de ces ressources relève de la coordination sensorimotrice permettant de mieux agir, penser et percevoir le présent, l’autre de notre esprit qui décroche de la situation. Jusque-là, il était admis que dans l’EMI, il y avait vraiment un décrochage pouvant même être une sorte de déni de la mort, une sorte d’imaginaire assez rassurant. En réalité, dans l’expérience de Ronald, on constate qu’il travaille à essayer de trouver une solution dans ses souvenirs. C’est assez intéressant et rejoint pour moi ce que disait le philosophe Henri Bergson qui s’est intéressé aux EMI, comme une exaltation de l’esprit lors de ces expériences, qui aurait comme finalité de trouver un souvenir utile à la situation.

Ces expériences sont-elles répandues ?

Oui, et tout le monde peut en vivre. Il n’y a pas de profil de personnes plus susceptibles d’en vivre. Tout individu se retrouvant, par surprise, dans une situation de danger mortel réel ou pas, peut déclencher une EMI, plus au moins complète et intense. Dès que la menace est levée, la personne revient à un état de conscience ordinaire.

Entre 15 et 20 % des personnes subissant un arrêt cardiaque auraient des souvenirs de ce moment-là assimilés à une EMI. Dans les faits, comme j’élargis la notion d’EMI à d’autres expériences dans lesquelles il n’y a ni tunnel, ni lumière, ni anges, les personnes que je reçois dans le cadre du Circee me disent souvent qu’elles ont en fait vécu une EMI sans mettre exactement ce mot sur leur expérience. Ceci découle du fait que les chercheurs ont développé un prototype peut-être trop précis d’EMI très transcendantes, qui ne recouvre pas toutes les autres expériences un peu étranges.

Quel est finalement le rôle des EMI ? Servent-elles à quelque chose pour l’espèce humaine ?

Le modèle que je développe intègre une notion d’adaptation et d’avantage évolutif à déclencher une EMI face à un danger. L’idée étant que notre espèce se serait transmis cette capacité à avoir cette forme de dissociation, de coupure des rapports ordinaires entre corps et esprit. C’est tout à fait spéculatif et expliquerait aussi pourquoi chaque être humain a en lui ce système de secours, d’urgence, de bouton rouge sur lequel appuyer même sans s’en rendre compte, en cas d’un péril imminent.

Les EMI sont-elles réductibles selon vous à ce que l’on explique en sciences ?

Je trouve très encourageant que de plus en plus de chercheurs du monde entier et dans différentes disciplines creusent ce sujet qui concerne de nombreux êtres humains. Même si l’explication manque, il est, d’une certaine façon, admis que cela existe. Ce qui est sûr pour moi, c’est qu’il ne faut pas emprunter la voie très réductrice consistant à dire que l’EMI a quelque chose à voir avec la mort réelle. Dans le cas de Ronald Beurms et de beaucoup d’autres, c’est le danger et la menace perçus subjectivement qui vont déclencher l’EMI. Parfois, cela coïncide vraiment avec des dégâts corporels, avec un trouble organique, mais c’est assez secondaire. Mon point de départ est donc plus large que celui de mes collègues.

Quid des revues de vie très ancrées dans l’imaginaire collectif ? S’inscrivent-elles systématiquement dans les EMI ?

Oui, elles sont très associées aux EMI, bien qu’elles ne soient pas systématiques et qu’il soit possible d’en avoir dans d’autres circonstances. Certaines personnes ne voient pas du tout de souvenirs défiler ou alors juste quelques-uns et dans n’importe quel ordre. En tout cas, c’est un élément fascinant de pouvoir revivre intégralement tout ce que l’on a traversé dans sa vie. Et l’on se demande de quelle façon le cerveau est en mesure de nous présenter autant d’informations aussi rapidement, et comment il est capable de conserver tout cela. Cela reste un mystère, et c’est ce mystère-là en particulier qui a attiré l’attention de Bergson.

Vous évoquez également l’hypothèse des deux consciences. Qu’est-ce que c’est ?

Ce sont des éléments décrits par des chercheurs avant que Raymond Moody ne popularise son modèle. Ils mettent en avant le fait que, dans l’EMI, les individus ont l’impression d’être à deux endroits en même temps, d’être deux personnes en même temps. On comprend beaucoup mieux l’EMI lorsque l’on accepte cette hétérogénéité, cette duplicité. C’est de cette façon que je parviens à analyser la chose et en passant effectivement par Bergson, qui a, lui, décrit un modèle de l’esprit comme étant la coordination, la symbiose de deux formes de consciences.

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Que révèlent les investigations menées sur la réanimation ? Jusqu’où repousse-t-on la mort ?

Dans une première partie du livre, je montre que les travaux ont beaucoup progressé dans ce domaine. Ce n’est que depuis peu que l’on dispose d’analyses approfondies de ce qu’il se passe dans le cerveau de quelqu’un en train de mourir. Les limites posées sur la mort cérébrale, qui est une des façons de repérer la mort, bougent. Des chercheurs français de premier plan, comme Stéphane Charpier, nous montrent qu’il y a des activités électrochimiques que l’on ne connaissait pas, qui repoussent la question du moment où cela devient complètement irréversible.

Vous expliquez également qu’il y a différentes étapes vers la mort…

Oui. Je trouve notre vision de la mort un peu naïve. Les médecins et les spécialistes s’accordent plutôt à dire que l’on a affaire à un processus soumis à diverses incertitudes. Il existe notamment des états intermédiaires dans lesquels l’activité électrique relevée correspond à un individu mort, mais en fait il y a encore une réversibilité possible vers la vie. Pour le moment, le phénomène est mal compris. Des expériences sont menées sur des animaux pour tenter d’en savoir plus. Un boulevard de recherches s’ouvre à nous et repousse notre compréhension actuelle de la mort.

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Comment pensez-vous que les recherches sur ces thématiques si particulières vont évoluer ?

Je suis très heureux finalement que Ronald Beurms puisse cosigner ce livre. On ne pourrait rien faire sans ces personnes qui acceptent de collaborer avec des scientifiques. Je le dis dès le départ : ce livre vient d’un coup de foudre scientifique. Ronald ne connaissait pas du tout mes travaux et a été surpris de constater que cela rejoignait ce qu’il avait traversé. Et j’ai moi-même pu apprendre beaucoup de son expérience, même si je ne prétends pas encore tout expliquer. J’aimerais qu’il y ait plus de Ronald qui se manifestent, y compris des personnes dont l’expérience ne colle pas tout à fait à l’image que l’on se fait des EMI. Je pense qu’il serait bon de sortir de cette guéguerre qui tient ces expériences comme une preuve du paradis avec de grands enjeux religieux et spirituels en toile de fond. C’est finalement assez néfaste pour la science qui se doit de les écarter. J’aimerais que l’EMI nous donne de bonnes leçons.

 

Aller plus loin :

Expériences de mort imminente, de Renaud Évrard avec Ronald Beurms, éd. Albin Michel, 304 p., 21,90 €.

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