Frédérique Le Brun
Son médecin traitant, consulté en urgence, lui intime de prendre rendez-vous avec un gastro-entérologue. La petite ville des Côtes-d’Armor compte trois médecins généralistes, quelques kinés, mais de gastro-entérologue, point. Commence la course au rendez-vous. Pas de créneau à Lannion, à 10 km de chez lui. Ni à Guingamp (40 km), ni à Saint-Brieuc (80 km), ni à Brest (100 km), ni à Rennes (180 km), ni à Nantes (270 km), ni à Tours (420 km)…
Deux jours passent, l’homme se recroqueville sur son canapé. D’abord, il ne veut pas aller aux urgences les plus proches, où un jour, un médecin l’a traité de simulateur. Bah oui, quand on souffre de multiples douleurs, on ne rentre pas dans les cases de certains professionnels qui ont appris à ne considérer que des maladies et pas des malades. Mais la douleur le fait abdiquer, et une attente aux urgences puis un électrocardiogramme plus tard, on le rassure : il n’y a rien du côté du cœur.
Pourtant, la douleur, elle, est toujours là, insupportable et inexpliquée. Finalement, le fils de l’homme décroche un rendez-vous à Paris, à 530 km de là. La famille file au petit matin. Le gastro-entérologue francilien qui examine le Breton le renvoie aux urgences sur-le-champ. Ce dont il souffre n’a rien à voir avec la sphère digestive, dit le spécialiste, qui soupçonne un problème cardiaque. Après deux heures d’attente aux urgences, le diagnostic d’infarctus tombe, avec opération dans la foulée et pose de deux stents. " Votre mari était à un cheveu de la mort ", dira le chirurgien à l’épouse. Un cheveu… de 530 km.
Le désert médical, c’est ça. Des infarctus et des AVC non diagnostiqués ou trop tard, des dents qui font mal, des yeux qui ne voient plus, des pathologies qui s’aggravent jusqu’à mettre en danger la vie et la santé mentale des patients.
Parce que quand on ne peut pas se soigner, on endure et on désespère. Sur son lit d’hôpital parisien, le Breton miraculé se demande : "C’était ça, le projet de la sécu ? C’est ça, la solidarité nationale ? Vivre en région, c’est signer sa propre condamnation ? "
À l’heure où nos parlementaires se penchent sur le budget de la Nation, quelle réponse apporteront-ils à ces questions ?
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