Adeline Gadenne
Les antipsychotiques aussi appelés neuroleptiques sont souvent prescrits aux résidents d’Ehpad atteints de maladie neurodégénérative (démence, alzheimer…), qui représentent près de 40% des personnes âgées accueillies dans les Ehpad en 2023. Parmi les personnes souffrant de maladie neurodégénératives, au moins 60% connaitront des Symptômes Psychologiques et Comportementaux (SPC) qui peuvent être difficiles à gérer pour les soignants et aidants.
Parmi les comportements problématiques, citons l'irritabilité, l'agressivité, l'agitation, les idées délirantes, les hallucinations, l'anxiété et la dépression, les pertes de sommeil ou d'appétit, l'apathie, l'errance, les questionnements répétitifs ou encore les comportements sexuellement inappropriés et le refus de soins.
Le phénomène de surprescription de neuroleptiques en Ehpad n’est pas nouveau. Le problème a été identifié dès 2009 par la Haute Autorité de Santé (HAS) qui évaluait alors la proportion de patients Alzheimer sous neuroleptiques à 18% et rappelait aux prescripteurs que, hors psychose ou syndrome délirants avérés, « le fréquent recours observé aux médicaments neuroleptiques ou autres sédatifs n’est pas indiqué, a fortiori au long cours » et mettait en place un programme d’amélioration des pratiques professionnelles. Le plan Alzheimer 2008-2012 également faisait de la baisse de la prescription d'antipsychotiques un de ces objectifs, démontrant que le problème avait été clairement identifié.
Différentes recherches menées à l’époque montrent l’ampleur de ces mauvaises pratiques : 28% des résidents d’Ehpad atteints de maladie neuro-évolutive étaient sous antipsychotiques au long cours dans la région toulousaine (étude PLEIAD, 2010), et 24% en région Midi-Pyrénées.(étude IQUARE, 2012) par exemple.
Rien n’indique que les différentes alertes n’aient modifié profondément les pratiques : une étude sur des patients atteints d’Alzheimer montre au contraire une hausse des prescriptions entre 2010 et 2014, tandis qu’un article du quotidien du médecin en 2017 déplorait, à partir d’une étude menée à Marseille que « la prescription d’antipsychotiques chez les patients déments en EHPAD, bien que parfaitement hors AMM, (NDLR C’est-à-dire en dehors de leur indication officielle) est largement répandue ».
Aujourd’hui, le phénomène en France est difficile à évaluer, car il n’y a pas eu d’étude récente à notre connaissance, mais il reste très préoccupant. Antoine Piau, gériatre au CHU de Toulouse interrogé dans La Croix en 2024, assure que cette pratique reste très répandue pour calmer les patients, en particulier depuis la crise du Covid et compte tenu de la pénurie structurelle de personnels. Un article paru en octobre dernier sur le site du Vidal parle également d’une « tendance à la surutilisation (d’antipsychotiques NDLR) dans les troubles psychocomportementaux des maladies neuro-évolutives, et ce souvent en raison de moyens humains et architecturaux non adaptés à la sécurisation des patients, notamment ceux qui déambulent beaucoup. »
Une nouvelle étude statistique menée au Canada sur près de 500 000 résidents de maisons de retraite entre 2000 et 2022 a pourtant révélé que ces antipsychotiques n’auraient en majorité pas l’effet escompté par les prescripteurs : d’après cette recherche, environ 68 % des patients recevant ces médicaments présenteraient une aggravation significative de leurs comportements !
Précisons que certains de ces antipsychotiques ne sont pas initialement destinés aux personnes âgées atteintes de maladie neuro-évolutive et sont donc utilisés en dehors de leurs indications premières : le tiapride, l’aripiprazole, l’olanzapine et l’halopéridol par exemple sont indiqués dans l’agitation psychotique, la schizophrénie, les troubles bipolaires ou les épisodes maniaques.
Seule la rispéridone, prescrite pour la schizophrénie ou les épisodes maniaques, possède officiellement une autorisation de mise sur le marché (AMM) en France dans l’indication de « l’agitation de la démence », mais les pratiques et durées de prescriptions, trop longues ou trop peu réévaluées, sont souvent éloignées des recommandations si l’on en croit une thèse de médecine soutenue en 2020 analysant les pratiques de prescription dans Ehpad de la région marseillaise.
L’étude canadienne pointe aussi les lourds effets secondaires de cette classe de médicaments comme les tremblements, l’agitation, la rigidité, les contractions musculaires douloureuses, l’incapacité de se tenir debout et de marcher et la hausse des risques de chute, la sédation, les syndromes parkinsoniens, autant de choses qui peuvent exacerber les symptômes psychologiques et comportementaux existants.
Une étude publiée en avril 2024 dans le British Medical Journal révèle que l'utilisation d'antipsychotiques chez les personnes atteintes de démence est liée à des risques accrus d'effets indésirables graves, tels qu’AVC, caillots sanguins, crises cardiaques, fractures, pneumonies et insuffisance rénale aiguë. Ces risques sont particulièrement élevés dans la première semaine de traitement. L'étude, menée sur une cohorte de 173 910 patients au Royaume-Uni, a montré que les antipsychotiques comme la rispéridone, la quétiapine, l'halopéridol et l'olanzapine augmentaient ces dangers, avec un impact important sur les cas de pneumonie et de crises cardiaques. Malgré ces résultats, ces médicaments restent trop souvent prescrits.
Au total donc, non seulement ces médicaments d’efficacité limitée n’apportent pas le répit escompté au personnel des Ehpad, mais elles mettent en danger des patients fragiles et dépendants.
Des alternatives non médicamenteuses existent dans ces institutions du grand âge. Les chercheurs canadiens suggèrent à raison de s'attaquer aux causes profondes du comportement d'un résident à commencer par les douleurs, et de recourir à des thérapies non médicamenteuses comme la musique, l’art, les interactions sociales et les exercices doux.
Quinze ans après les dernières recommandations de la HAS, sortaient en septembre 2024 en France les nouvelles recommandations pour la prise en soins des Symptômes Psychologiques et Comportementaux (SPC) dans les maladies neurocognitives à l’initiative de trois sociétés savantes, dont la Société Française de Gériatrie et Gérontologie (SFGG).
Elles rappellent que l’usage des neuroleptiques est contre-indiqué en première intention et est réservé, au cas par cas, à des troubles sévères (agressivité et symptômes psychotiques) ou résistant aux approches non médicamenteuses. Parmi ces dernières sont citées la musicothérapie, l’activité physique adaptée (APA), la stimulation cognitive, les approches multisensorielles ou occupationnelles comme l’hortithérapie, et dans certains cas l’acupuncture ou l’acupressing qui sont utilisées en complément des traitements médicaux.
Les societés savantes en appellent en bref à une « approche globale qui prend en compte différents aspects de la vie d’une personne » dont l’objectif est d’améliorer la qualité de vie générale. Mais pour ça, bien sûr, il faut du personnel, des moyens et une prise en charge de nos aînés centrée sur le soin et pas la pure rentabilité.
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