Accueil Polémiques Troubles psy : plus d’imagerie pour moins de médicaments ?
Troubles psy : plus d’imagerie pour moins de médicaments ?
Alors que le recours à l’imagerie est devenu un quasi réflexe dans tous les domaines de la médecine, celui de la santé mentale est l’un des rares ‒ le seul ? ‒ à encore s’en priver pour établir ses diagnostics. Comme questionne un célèbre psychiatre américain précurseur en la matière : « Comment voulez-vous savoir sans y voir ? »
Les troubles mentaux restent un tabou. Il n’est que de constater la réaction d’une personne qui se voit suggérer « d’aller voir quelqu’un » : « Quoi, comment, mais tu n’y penses pas ?! Je ne suis pas fou (folle) tout de même ! ». Près d’un quart des Français consomment pourtant des psychotropes et 25 personnes se donnent la mort chaque jour. Entre perte des repères, souffrance au travail et confusion sociale ambiante, les conditions de l'instabilité mentale n’ont jamais été aussi favorables.
La psychiatrie diagnostique-t-elle dans l’obscurité ?
Si vous allez voir votre médecin pour une douleur dans le genou, la poitrine, le dos ou n’importe où ailleurs, il voudra d’abord voir ce qui se passe ; vous repartez donc avec une ordonnance pour une radiographie, un scanner, une IRM, une coloscopie, une coronarographie ou au minimum une analyse de sang. Bref des images ou des données factuelles qui permettent de poser un diagnostic et faire le choix d’une thérapie en rapport. Mais il y a un organe qui échappe quasi systématiquement à une telle démarche : le cerveau. Là, le spécialiste, en l’occurrence le psychiatre, va se référer aux symptômes décrits par son patient et au DSM (Diagnostic and Statistical Manual), manuel de référence (controversé) pour le diagnostic des troubles psys.
Pour presque toujours le même résultat : la prescription d’un psychotrope, dont le choix repose d’ailleurs en partie sur la communication et le marketing déployés par les fabricants. Un certain nombre de ces substances sont en effet régulièrement décriées non seulement pour leur apport totalement illusoire , au mieux un effet placebo, mais aussi pour leurs effets secondaires potentiellement désastreux. Une partie des malades est carrément internée, souvent sous la contrainte, en hôpital psychiatrique. Tout ça pour des résultats discutables sur le long terme, ces patients étant trop souvent condamnés à errer avec leur mal durant toute leur vie. Mais que voulez-vous, c’est dans la tête…
Certains psychiatres aussi veulent de l’imagerie
Ces dernières décennies ont apporté des avancées considérables dans le domaine des neurosciences, notamment grâce aux techniques d’imagerie de plus en plus fines et précises. En offrant un visuel des zones cérébrales impliquées dans telle tâche, ou dysfonctionnantes dans telle maladie, l’imagerie a permis des progrès décisifs dans la compréhension de l’organisation du cerveau, de l’activité des neurones, des phénomènes électriques, des neurotransmetteurs… Cependant, ces progrès peinent à se traduire sur le terrain.
La demande existe pourtant, et doublement : d’un côté, les troubles mentaux touchent aujourd’hui près d’une personne sur quatre dans le monde, d’après l’OMS. Un sur quatre, c’est aussi le ratio des Français sous psychotropes. De l’autre côté, les psychiatres eux-mêmes commencent à réclamer davantage d’imageries cérébrales pour affiner leurs diagnostics, comme en atteste notamment une tribune publiée dans Le Monde en février 2018, à l’initiative de deux psychiatres et d’un radiologue.
Visualiser le fonctionnement du cerveau plutôt que le conjecturer
Les études portant sur l’imagerie médicale appliquée au cerveau montrent des différences fondamentales entre cerveaux sains et cerveaux « malades ». Cependant, l’imagerie ne fait clairement pas partie des routines de la psychiatrie, contrairement à d’autres spécialités comme la cardiologie, la cancérologie ou la rhumatologie. Il n’existe pas non plus de tests ou d’analyse de laboratoire pour diagnostiquer une migraine, une dépression ou un trouble bipolaire. En fait, ces affections ne sont qu’évaluées, pour ne pas dire conjecturées. Imaginez que votre cardiologue en fasse de même pour appréhender l’état de santé de votre cœur ; pas de prise de tension, pas de coroscanner, pas de test d’effort, rien que de la théorie. Bizarre, non ?
L’intérêt de l’imagerie du cerveau réside dans cette possibilité de visualiser un dysfonctionnement, de pouvoir identifier la zone concernée et de comprendre dans quel sens elle est affectée. Ainsi, les différentes techniques aujourd’hui à disposition permettent de voir si une zone est suractivée, sous activée, abîmée par un choc ou encore atteinte d’une dégénérescence ou d’une tumeur. Dès lors, il est possible de proposer au patient une thérapie en rapport avec l’état réel de son cerveau, et pas seulement en réponse à ses symptômes comportementaux.
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L’imagerie du cerveau change l’approche de la santé mentale
En France, l’imagerie cérébrale reste principalement réservée à la recherche. En règle générale, la psychiatrie française considère d’ailleurs que seul un très faible pourcentage des troubles mentaux est susceptible d’être associé à une atteinte cérébrale organique. Dans d’autres pays, notamment aux États-Unis, cette conception a été dépassée, au moins par une fraction non négligeable de la profession. Là-bas, les notions de hardware (le support matériel) et de software (la programmation, ou le logiciel) issues de l’informatique font sens aussi pour le cerveau. En substance, certains posent le problème ainsi : à quoi bon s’acharner à vouloir intervenir sur le software, si on ne répare pas d’abord le hardware ?
Si la France recourt préférentiellement à l’IRM (imagerie par résonance magnétique), notamment pour son caractère non-invasif, la technique aujourd’hui privilégiée dans un nombre croissant de pays est le Spect, pour Single Photon Emission Computerized Tomography (tomographie d'émission monophotonique ou scintigraphie cérébrale). Cette technique d’imagerie, déjà très utilisée pour étudier le cœur, le foie, la thyroïde ou les os, permet d’appréhender l’anatomie fonctionnelle du cerveau, c’est-à-dire des aspects comme le métabolisme énergétique, le débit sanguin ou l’activité des neurotransmetteurs. Il est alors possible de recueillir des informations importantes pour comprendre des fonctions comme le langage, la mémoire, l’attention, les fonctions sensitivo-motrices… et les pathologies psychiatriques.
Si elle est pleine de promesse, cette nouvelle approche des troubles mentaux par l'imagerie médicale n'en est pas pour autant totalement bénigne car elle implique l'injection d'un produit faiblement radioactif, à l'instar des autres scintigraphies. Il n'est donc pas raisonnable d'envisager sa généralisation pour des troubles psy considérés comme mineurs. En revanche pour d'autres, actuellement traitées par une médication lourde et longue ou bien en échec thérapeutique, la question de l'affinement du diagnostic par SPECT devrait sans doute se poser.
Daniel Amen, un psychiatre pionnier dans l’imagerie cérébrale
Au début de sa carrière de psychiatre, le Dr Amen était gêné de devoir appréhender les troubles de ses patients de manière quasi-aveugle. En effet, les autres spécialités médicales pouvaient déjà se reposer sur diverses techniques d’investigation, dont l’imagerie. Rien de tel en psychiatrie. La question qui s’est imposée à lui fut donc « comment savoir quoi faire sans rien y voir ? ». C’est à partir de cette interrogation qu’il a commencé à recourir à l’examen SPECT, et à s’apercevoir qu’un trouble mental est presque toujours relié à une anomalie anatomique dans le cerveau : une zone en sur-activité, ou en sous-activité, ou abîmée par différents facteurs :
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un choc (le cerveau est un matériau mou et fragile contenu dans une "boîte" osseuse dure)
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la consommation d’alcool, de drogue, de médicaments
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la présence de toxines environnementales (liées par exemple à certains métiers)
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la présence d’une tumeur
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de l’anoxie (diminution de la quantité d’oxygène que le sang distribue aux tissus, par exemple à cause de problèmes circulatoires ou respiratoires)
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de l’hypothyroïdie
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de l’anémie sévère
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des infections…
Dans une étude publiée en 2012, il apparaît que le surcroît d’information apporté par l’imagerie SPECT avait modifié le diagnostic ou le traitement dans 79 % de 109 cas d’école dont l’analyse initiale n’avait reposé que sur les critères du DSM-IV. L’imagerie a notamment permis de découvrir 23 % de traumatismes crâniens, 23 % d’intoxications non détectées ainsi qu’une dysfonction du lobe temporal pour 66 % et une hypoperfusion (diminution du débit sanguin) chez 48 % des sujets.
Même malmené, le cerveau peut se reconstruire
Peu versé dans l’abus des psychotropes, le Dr Daniel Amen préfère cerner les causes précises des troubles et les cibler par des thérapies spécifiques. Pour lui, le cerveau reste un organe évolutif qu’il est possible de restaurer, pour peu qu’on élimine ce qui lui cause du tort (inflammation chronique, toxines, polluants, allergies alimentaires…) et qu’on lui apporte le nécessaire (une bonne alimentation, de l’oxygène, du calcium, du magnésium, du GABA, des micronutriments… et quelques fois des médicaments).
C’est grâce à l’imagerie cérébrale qu’on sait, par exemple, qu’une hyperactivité du lobe frontal est impliquée dans les troubles obsessionnels compulsifs, l’anxiété, le trouble du spectre autistique ou encore la dépression. C’est dans le traitement de tels désordres que le réseau de cliniques du Dr Amen se singularise ; plutôt que de prescrire des anxiolytiques à tous crins, il préfère stimuler la production de sérotonine, par exemple grâce à l’exercice physique et à une diète spécifique, et éventuellement prescrire certains suppléments comme le 5-HTP ou le safran. Ce n’est qu’en dernière intention qu’interviennent les inhibiteurs sélectifs de la recapture de la sérotonine ou la rispéridone (antipsychotique utilisé pour la schizophrénie ou les troubles maniaques de la bipolarité notamment) quand ils s’avèrent indispensables.
Cette approche innovante de la psychiatrie et des résultats en net progrès par rapport aux méthodes conventionnelles ont fait le succès et la renommée du Dr Amen. Comme un message d’espoir à tous ceux qui doivent composer avec la souffrance mentale, il proclame volontiers : « Vous n’êtes pas obligé de continuer à vivre avec un cerveau défectueux, vous pouvez l’améliorer ». Bonne nouvelle, non ?
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Références
« Spécific ways brain SPECT enhances clinical psychiatric practice », dans Journal of Psychoactive Drugs, 2012
Feel Better Fast and Make It Last: Unlock Your Brain's Healing Potential to Overcome Negativity, Anxiety, Anger, Stress, and Trauma, Dr Daniel Amen, Tyndale House Publishers, 2018.
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