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Un psychiatre lance l'alerte sur la santé mentale des hommes

  • Un psychiatre lance l'alerte sur la santé mentale des hommes
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Novembre est le mois consacré à la santé masculine avec la campagne Movember*. À cette occasion, nous avons interrogé Robert E. Whitley, professeur au département de psychiatrie de l’Université Mc Gill à Montréal : il est l’auteur du livre La santé mentale au masculin qui synthétise plus de mille articles scientifiques (en psychiatrie, en santé publique, en sociologie, etc.) afin d’aider à la compréhension globale des problèmes psychiques rencontrés par les hommes. Il appelle à changer notre regard sur la santé mentale au masculin et surtout, à adapter notre système de soin.

Vous avez étudié la santé mentale des femmes avant de vous intéresser à celle des hommes. Quelles sont les grandes différences dans les manifestations de mal être mental ?

Alors que les femmes déprimées ont tendance à intérioriser – elles se replient sur elles-mêmes, elles ressentent de la tristesse et pleurent -, les hommes sont plus susceptibles d’extérioriser leurs symptômes en manifestant de la colère et de l’agressivité, en adoptant des comportements à risque, en consommant de l’alcool ou des drogues. On parle d’« acting out » c’est-à-dire de passage à l’acte pour les hommes et au contraire d’« acting in » pour les femmes. Par ailleurs les femmes ont tendance à adopter une approche cognitive et donc à ruminer les causes et les conséquences de leur détresse. Ce n’est pas le cas des hommes : quand ils ont des idées noires, ils ont plus tendance à faire de l’exercice, à se rapprocher de leurs amis, autant d’activités distrayantes qui empêchent la rumination et qui pourraient expliquer un taux de dépression moins élevé chez les hommes que chez les femmes.

Ces différences entre hommes et femmes sont-elles prises en compte par les services de soin en santé mentale ?

Malheureusement, non : si l’on prend les exemples des États-Unis et du Canada, les symptômes comme la colère et l’abus de substances ne sont pas pris en compte dans les diagnostics officiels de la dépression. Il existe pourtant de nombreuses recherches qui les décrivent, parlant d’un « syndrome dépressif masculin atypique ». Il semblerait malheureusement qu’il existe un préjugé social selon lequel la dépression est typiquement une maladie de femmes, ce que je trouve sexiste envers elles, mais aussi envers les hommes. Pour preuve, des recherches ont étudié les publicités pour les antidépresseurs dans les journaux professionnels destinés aux psychiatres : en général ces publicités sont illustrées par des femmes, plutôt jeunes, minces, blondes… un stéréotype que les médecins peuvent facilement intérioriser !

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En France, 3 suicides sur 4 sont masculins. Est-ce qu’on peut en conclure que le suicide est une manifestation plus courante du mal-être mental masculin ?

Je voudrais d’abord préciser deux choses. En premier lieu, cela reste très rare : beaucoup de personnes traversent des situations dramatiques, mais ne se suicident pas. En second lieu, le suicide est toujours multifactoriel, avec des facteurs biologiques, psychologiques, mais aussi sociologiques. On constate d’ailleurs que certains groupes d’hommes présentent des taux de suicide particulièrement élevés comme les militaires de carrière ou les hommes vivant en région rurale, mais aussi bien sûr souffrant de maladies mentales. Les données scientifiques suggèrent que certains facteurs de risque sont beaucoup plus importants pour les hommes que pour les femmes, notamment le chômage et le divorce : en effet, les hommes ressentent un grand vide en cas de chômage ou de divorce, car en perdant leur emploi ou leur statut matrimonial, ils perdent plus facilement leurs relations sociales que les femmes, qui sont plus susceptibles de maintenir un réseau amical après un tel évènement. De plus, dans nos sociétés, l’homme reste fréquemment le principal soutien financier de la famille d’où une forte sensation d’échec voire de honte en cas de perte d’emploi.

Les hommes font moins appel à la psychothérapie que les femmes en cas de mal-être. Faut-il imaginer d’autres outils pour soutenir les hommes qui souffrent de problèmes de santé mentale ?

Diverses enquêtes indiquent que les hommes et les femmes ont tendance à avoir des préférences différentes concernant les modalités thérapeutiques. En bref, les femmes ont tendance à préférer les approches formelles comme les thérapies par la parole ou les médicaments sur ordonnance, tandis que les hommes ont tendance à préférer les approches informelles comme les groupes d’entraide ou les interventions axées sur le « faire », comme pratiquer de l’exercice physique. Je suis d’ailleurs très impliqué dans le type d’approches alternatives que vous mettez en avant dans votre journal ! Les recherches montrent par exemple que les choses simples comme le yoga, le sport en équipe ou la nage en eau froide sont efficaces pour soigner la dépression. J’ai mené une étude chez les anciens combattants : les « thérapies en plein air » qui consistent à aller dans la nature pour pêcher, construire un camp, etc. sont très favorables à leur santé mentale. Dans les années 1990, des « ateliers entre hommes » ont été créés en Australie pour les individus âgés et isolés qui proposent de la menuiserie, de l’horticulture, de la musique, de la cuisine, etc. : l’initiative s’est répandue dans d’autres pays et plus de 100000 hommes ont ainsi bénéficié à ce jour de ces ateliers. Il s’agit d’interventions très bénéfiques à la santé mentale des hommes, car elles exploitent la tendance masculine à construire, à créer et à travailler ensemble en poursuivant un but précis et un objectif. La devise de ces ateliers veut que les hommes ne parlent pas « face à face », mais plutôt « épaule contre épaule »… Cette idée contient une sagesse qui peut être ostensiblement absente des soins de santé mentale classiques.

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Si les hommes ne sont pas attirés par les thérapies par la parole, est-ce aussi parce qu’ils ont de la difficulté à identifier et à verbaliser leurs émotions ?

Bien sûr, chaque homme est différent, tout comme chaque famille et chaque culture. Mais on constate que dans beaucoup de secteurs d’emploi dominés par les hommes - armée, police, transport, sécurité, etc. - ces derniers sont appelés à contrôler ou ne pas exprimer des émotions comme la peur. Dans le cas contraire, leur hiérarchie peut les considérer comme nuisibles à leur profession. Plus globalement en société et dans la famille, les hommes apprennent tôt que l’expression des émotions peut mener au dénigrement.

Quels sont les principaux facteurs socioculturels qui entraînent des problèmes de santé mentale chez les hommes ?

Dans un passé pas si lointain, un jeune homme entrant dans l'âge adulte avait trois attentes raisonnables concernant sa vie future. Premièrement, trouver un emploi stable - voire à un emploi à vie - susceptible de leur apporter aisance, raison d’être et camaraderie tout au long de leur vie. Deuxièmement, devenir propriétaires de leur logement ou, du moins, à se loger en toute sécurité, eux et leur famille. Troisièmement, les hommes s'attendaient à se marier, à « s’installer » et à fonder une famille. La recherche d'un emploi stable et l'accès à la propriété étaient d'ailleurs les bases d'une vie familiale solide et enrichissante. Un homme consacrait souvent toute son énergie à atteindre et à consolider une vie professionnelle réussie, une vie familiale gratifiante et stable. La poursuite et la réalisation de ces objectifs conféraient à l'homme un fort sentiment de fierté, donnaient un but et un sens à sa vie, ancrant positivement son existence psychologique, sociale et économique. De nos jours, de plus en plus d'hommes peinent à réaliser ces objectifs : instabilité de l’emploi, recrudescence des divorces, diminution des filets de sécurité et flambée des prix de l'immobilier ont modifié ce paysage au point de le rendre méconnaissable. En outre, plusieurs chercheurs ont affirmé que le système éducatif ne répond pas bien aux besoins des garçons et des jeunes hommes, les hommes présentant des taux élevés d'abandon et d’exclusion scolaires, ainsi que de taux d'inscription aux études supérieures plus faibles que les femmes.

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Il n’existe quasiment aucun service de soutien spécifique aux hommes comme il peut en exister pour les femmes (isolées, victimes de violence, etc.). Serait-il utile de corriger ce manque ?

Des études montrent que la pair-aidance** et les groupes d’entraide sont très importants pour le rétablissement des hommes qui souffrent des troubles psychiques. Il serait donc très intéressant d’avoir des centres de pair-aidance pour les hommes faisant partie des groupes à risque comme les chômeurs, les hommes veufs ou divorcés, les anciens militaires, etc. Au Canada, il existe par exemple des programmes pour les pères récemment divorcés qui vivent des expériences éprouvantes dans les tribunaux aux affaires familiales.

Dans votre livre, vous dites qu’il est important de prendre en compte le « fossé d’empathie » entre les genres. De quoi s’agit-il et pourquoi faites-vous cette mise en garde ?

Les recherches montrent que les hommes sont moins susceptibles de recevoir des signes d’empathie lorsqu’ils font face à une maladie mentale. Or si des hommes sont en souffrance psychologique, leurs entourages (conjointes, enfants, etc.) en subissent les conséquences. Faire preuve de plus d’empathie envers les hommes est donc favorable à la société tout entière. Je pense qu’il est important de l’expliquer aux personnes qui pensent que les hommes, bénéficiant de privilèges dans la société, ne devraient pas se plaindre.

La société actuelle fustige la « masculinité toxique » et appelle à un homme « déconstruit ». À ces critiques vous préférez valoriser la « masculinité traditionnelle ». Expliquez-nous votre démarche.

De nombreuses personnes pensent que la masculinité traditionnelle et les injonctions sociales qui l'accompagnent sont néfastes à la santé mentale des hommes, et qu’à ce titre, la masculinité devrait être complètement redéfinie aujourd'hui. Mais je pense, en m’appuyant sur une partie de la littérature scientifique, que certains attributs non problématiques de la masculinité traditionnelle restent importants pour leur bien-être aujourd’hui. Je pense par exemple au fait d’aller au travail, de se lever tôt, de gagner sa vie, de faire de l’exercice, de pratiquer des activités avec d’autres hommes (sports d’équipe, pêche, chasse…), etc. : ces activités, sources de contact social et d’amitié, doivent être valorisées. À l’inverse, jouer aux jeux vidéos toute la journée, rester seul chez soi, ne pas avoir de centre d’intérêt, etc. est défavorable à la santé mentale des hommes. La masculinité traditionnelle ne consiste pas à être fort et rigide ! Il existe un stéréotype disant que les hommes sont têtus et obstinés, mais des recherches montrent que dans les trois mois avant un suicide, de nombreux hommes avaient consulté leur médecin ou avaient parlé avec leur entourage. On est loin de l’image de l’homme trop fier pour parler de ses problèmes ! La réalité est plutôt que les hommes ont peur des répercussions négatives des aveux de leur mal être, car parfois, lorsqu’ils s’expriment, ils font l’expérience de réponses moqueuses voire hostiles. Il faut donc à tout prix éviter les stéréotypes et offrir plus de choix dans le système de soin.

Aller plus loin :

*Chaque année, en novembre, est organisée la campagne de prévention sur la santé masculine Movember. Le terme provient de la contraction de « Mo » pour moustache et de « november » pour novembre, car le principe de cette campagne est de se porter une moustache originale pendant tout le mois afin qu'elle suscite la curiosité et amène à discuter de santé masculine. Des collectes de fonds pour la recherche sont aussi organisées.

** La pair-aidance repose sur une entraide entre personnes souffrant ou ayant souffert d'une même maladie somatique ou psychique, atteintes d'un même handicap ou encore ayant traversé une même difficulté. On trouve cette idée mise en œuvre en France principalement sur la question du handicap.

 

En aucun cas les informations et conseils proposés sur le site Alternative Santé ne sont susceptibles de se substituer à une consultation ou un diagnostic formulé par un médecin ou un professionnel de santé, seuls en mesure d’évaluer adéquatement votre état de santé