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Covid-19 : « Il n’y a pas de démocratie sanitaire quand les professionnels de terrain sont à ce point méprisés »
La suspension du professeur Perronne de l’APHP est un des derniers épisodes en date d’une longue liste de médecins rappelés à l’ordre pour s’être écartés de la ligne sanitaire officielle. Face aux toutes nouvelles plaintes du Conseil de l'ordre contre six médecins pour des propos jugés « controversés », à la multiplication des « recadrages », voire des sanctions, nous avons voulu interroger le sociologue Laurent Mucchielli. Depuis le début de la crise, ce directeur de recherches au CNRS (Laboratoire méditerranéen de sociologie, Aix-Marseille Université) décrypte de manière critique la gestion politico-sanitaire du Covid-19.
Le professeur Perronne, signataire d'une de vos tribunes, vient d'être démis de sa fonction de chef de service par le directeur de l'APHP, notamment pour s'être « départi de son devoir de réserve » et avoir« tenu des propos contraires à l'obligation de dignité ». Comment analysez-vous la multiplication des sanctions et rappels à l'ordre de médecins lorsqu'ils tiennent des propos éloignés de la ligne officielle ?
Christian Perronne a un franc-parler populaire et émotionnel, j’imagine aisément que cela doit en exaspérer plus d’un dans le monde très policé de la haute fonction publique. Il a par ailleurs le chic pour appuyer là où ça fait mal et ce, depuis le début de la crise. C’est certainement ce qui lui vaut cette sanction administrative. Mais je suppose qu’il va attaquer cette décision de M. Hirsch. Christian Perronne reste par ailleurs professeur d’université, avec toute la liberté d’expression qui caractérise ce statut et qui est protégée par la loi.
Ce qui m’inquiète davantage, ce sont toutes les formes de pression et d’intimidation qui sont exercées sur des médecins libéraux ou hospitaliers bien moins connus, dès lors qu’ils ont le malheur de dire publiquement qu’ils ne partagent pas tel ou tel dogme du ministère de la Santé, en particulier le dogme selon lequel il n’y aurait aucune thérapeutique pour soigner les malades de la Covid. Dans ces cas, il n’y a pas de sanction officielle ni de communiqué de presse. Tout se joue dans les coulisses et c’est généralement le Conseil national de l’ordre des médecins qui est à la manœuvre, parfois en service commandé du ministère mais souvent aussi à la suite de « signalements » provenant d’autres médecins. On peut faire l’hypothèse que ces derniers ne supportent pas la culpabilité que leur renvoient ceux qui tentent de soigner alors que eux acceptent de ne pas le faire.
Quoi qu’il en soit, le but est de faire taire ces « dissidents » afin de laisser croire que le ministère de la Santé parle au nom de tous les professionnels. La réalité est très différente. En fait, de nombreux médecins généralistes considèrent depuis le début de l’épidémie que leur rôle est de soigner les gens et non de les laisser se reposer chez eux avec du doliprane au risque que la situation s’aggrave et qu’il faille les hospitaliser. Dans les hôpitaux (en particulier les services de réanimation où les médecins ne peuvent parfois que constater des dégâts irréversibles) et les EHPAD, certains médecins considèrent également que, sauf contre-indication particulière, il faut traiter cette infection avec des médicaments ayant une action antivirale et/ou anti-inflammatoire dès le début de la prise en charge afin d’éviter que la maladie dégénère et qu’il faille passer en réanimation.
J’ai publié un article montrant les excellents résultats obtenus dans l’un des rares Ehpad où l’équipe médicale n’a pas suivi la ligne officielle. De manière générale, aux yeux de tous ces médecins que j’ai pu lire ou interviewer, le dogme gouvernemental constitue un refus de soigner qu’ils considèrent comme contraire à leur serment d’Hippocrate, et que beaucoup jugent même véritablement scandaleux.
Pouvez-vous donner des exemples de médecins concernés par ces rappels à l’ordre ?
Oui, parce que je suis cette question depuis le début de l’épidémie et que j’ai mené une dizaine d’entretiens complémentaires avec des médecins ces derniers jours, certains souhaitant rester anonymes pour ne pas être stigmatisés ou menacés davantage.
Dès le mois de mars, on se souvient du cas de cette généraliste de l’Isère qui a soigné avec notamment des macrolides (une gamme d’antibiotiques utilisés de façon courante et depuis très longtemps, notamment dans le traitement des pneumonies atypiques) et obtenu des résultats spectaculaires (350 patients symptomatiques, 4 hospitalisations, 0 décès). Dans un premier temps, le bon sens médical a prévalu. La Société française de gériatrie avait même mis en ligne son témoignage et il commençait à circuler sur Facebook. Patatras, elle est dénoncée par d’autres médecins qui l’accusent de « charlatanisme » et l’assimilent à Didier Raoult (alors qu’elle ne prescrit pas d’hydroxychloroquine). Elle est convoquée par le conseil départemental de l’ordre des médecins. Résultat : cette médecin-pionnière se tait désormais.
Au même moment, deux autres généralistes de la région Grand-Est (fortement impactée) font exactement la même chose. Après plusieurs cas de patients hospitalisés, et pour certains décédés, les docteurs Erbstein et Gastaldi (qui se sont connus sur un groupe Facebook, « Le divan des médecins ») décident de donner des macrolides à leurs patients en difficulté, et ils constatent à leur tour des résultats spectaculaires. Le premier a écrit un livre intitulé « Je ne pouvais pas les laisser mourir », dans lequel il témoigne de la violence des messages reçus en particulier par ceux qu’il appelle « la ligue des No fake Med » (un lobby très actif sur Internet et les réseaux sociaux) : « Charlatan, escroc, zozo, après la bouillabaisse marseillaise voilà la choucroute de Moselle, expérimentateur, rends ton diplôme, va voir un psy si tu ne supportes pas de ne pas soigner les gens, tu mérites d’être radié, honte à toi… Voici quelques-uns des noms d’oiseaux dont j’ai été affublé. (…) Un confrère, sans doute mal intentionné, a même eu l’ordure violence de m’envoyer le code Nuremberg sur l’expérimentation humaine, faisant ainsi référence aux médecins nazis » (page 43). Et finalement, le docteur Erbstein recevra l’appel du président de l’ordre départemental des médecins, lui demandant de se taire.
En réalité, la liste est longue. Il faudrait parler de cette urgentiste de Tours qui intervient à la fin du mauvais documentaire « Hold Up ». Quand sa hiérarchie apprend qu’elle donne de l’hydroxychloroquine à certains malades, on lui demande d’aller consulter un psychiatre… Dans le même documentaire, une généraliste d’un service d’addictologie passe à l’écran quelques secondes, sans dire un mot, mais elle est dénoncée par un autre personnel de son hôpital qui reconnait le petit logo sur sa blouse ! Elle subit alors les foudres de sa hiérarchie, sans qu’au final il n’y ait rien à lui reprocher.
Le problème de tous ces médecins est qu’ils sont isolés et donc sans défense. Certes, il s’est créé des collectifs au niveau national, le plus important et très actif étant « Laissons les médecins prescrire » qui s’est lancé dès le mois de mars. Il regroupe aujourd’hui environ 2 200 médecins. Certes encore, beaucoup ont signé la pétition initiée début avril par Philippe Douste-Blazy (médecin et ancien ministre de la Santé) et Christian Perronne, mouvement qui a connu un grand succès (600 000 signatures dont un autre ancien ministre de la Santé, Michèle Barzach). Mais c’est l’isolement local qui est le plus difficile pour les médecins non-conformistes.
Au contraire, ils sont beaucoup moins chahutés lorsqu’ils peuvent s’appuyer sur un groupe ou un collectif local. C’est le cas du collectif de La Réunion « Covid Médecins 974 ». Il compte une quinzaine de médecins et est soutenu en sous-main par nombre de leurs confrères qui n’osent pas le dire publiquement, par une partie des élites locales (dont l’ancienne secrétaire d’État et ancienne présidente du Conseil régional Margie Sudre, également médecin anesthésiste-réanimatrice) et une partie de la presse locale. De fait, leur convocation récente devant le conseil départemental de l’ordre des médecins n’a donné lieu à aucune forme de sanction.
Même chose concernant le médecin anesthésiste-réanimateur marseillais Louis Fouché qui était convoqué par sa hiérarchie début novembre. L’entretien se serait certainement passé beaucoup moins cordialement si le collectif qu’il a lancé il y a quelques mois ne s’était pas mobilisé en l’accompagnant à ce rendez-vous, et en saturant la boîte mail de la direction de l’APHM avec quelque 5 000 lettres électroniques de soutien envoyées.
Enfin, il faudrait parler évidemment de l’espèce de guerre que mène le ministère de la Santé contre l’IHU de Marseille, mais c’est un sujet en soi, sur lequel je me suis déjà exprimé dans plusieurs articles de mon blog de Mediapart et dans une vidéo.
Dans le contexte politico-sanitaire actuel, les espaces critiques sur la gestion du Covid-19 sont l'objet d'attaques régulières et de procès en irresponsabilité, “rassurisme” voire “complotisme”. Est-il encore possible de questionner la gestion de la crise ? Qu’est-ce que ça nous dit de la démocratie sanitaire dont les autorités se réclament ?
Parler de démocratie sanitaire dans le cas de la France en 2020 est une mauvaise plaisanterie. Réagissant à la sanction qui frappe Christian Perronne, le Syndicat national des médecins hospitaliers a publié un communiqué le 11 décembre, dans lequel il dénonce une « chasse aux sorcières ». Il écrit aussi : « Y aurait-il bientôt une médecine d’État, une vérité d’État ? Où est la confraternité ? Gare à celui qui n’adhère pas à la vérité officielle ? ». J’ai un peu l’impression de revivre l’époque du maccarthysme, la puissance d’Internet et des réseaux sociaux en plus.
Il n’y a pas de démocratie sanitaire quand un gouvernement impose à l’ensemble des soignants une façon de penser et d’agir qu’il a décidé de son propre chef, dès le début d’une épidémie, qu’il est incapable de réviser au fil du temps et qu’il impose à n’importe quel territoire de façon uniforme (comme si la situation était la même à Paris, dans la Creuse ou aux Antilles). Il n’y a pas de démocratie sanitaire quand les professionnels de terrain sont à ce point méprisés, réduits au silence et menacés de sanctions s’ils dérogent à la doxa. Il n’y a pas non plus de démocratie quand la quasi-totalité des médias a perdu toute indépendance, que ces médias abandonnent toute neutralité et toute distance d’analyse critique, devenant de simples relais de la communication politique.
Il n’y a pas de démocratie quand toute parole qui ne se conforme pas aux injonctions de penser est traitée comme une trahison, qu’elle est décrédibilisée ou censurée. Quant aux citoyens, ils n’ont qu’un droit : celui de se taire et de faire ce qu’on leur dit de faire au moment où on leur dit de le faire. L’infantilisation mentale et la contrainte comportementale sont le contraire de la démocratie. Nous assistons à une dérive autoritaire du pouvoir exécutif qui m’inquiète beaucoup plus que la Covid pour l’avenir de notre pays.
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