Accueil Polémiques Lait pour nourrisson : un « marketing sournois » qui « exploite les craintes des parents ? »
Lait pour nourrisson : un « marketing sournois » qui « exploite les craintes des parents ? »
L’allaitement maternel reste le meilleur atout pour la santé d’un nouveau-né. Pourtant de nombreuses mères ne parviennent pas à atteindre le minimum de six mois d’allaitement préconisés par l’OMS. Le journal The Lancet explique que c’est en partie en raison des pratiques douteuses des industriels du lait infantile. Toutefois, d’autres raisons, plus sociétales, laissent à penser que le lait infantile a encore de beaux jours devant lui.
L’allaitement maternel a des avantages avérés pour la santé des mères et des bébés. Cependant, moins de 50 % des bébés dans le monde sont allaités comme le recommande l'OMS. Dans une série d’articles consacrés à la question, le journal The Lancet pointe du doigt les pratiques de l’industrie du lait pour nourrissons qu’il estime en partie responsable de cet état de fait. Le journal accuse cette industrie d’user depuis des décennies de « stratégies de marketing sournoises, conçues pour exploiter les craintes et les préoccupations des parents, afin de transformer l'alimentation des nourrissons et des jeunes enfants en une entreprise de plusieurs milliards de dollars, générant des revenus d'environ 55 milliards de dollars chaque année. »
Fausses promesses et pathologisation des pleurs du nourrisson
Cette série de trois articles décrit notamment comment des comportements normaux des nourrissons comme les pleurs, l'irritabilité et le manque de sommeil nocturne sont décrits par l'industrie du lait pour nourrissons comme « pathologiques » et « présentés comme des raisons d'introduire le lait pour nourrissons » alors qu'en réalité, ces comportements sont tout à fait normaux durant le développement de l’enfant.
Certains fabricants affirment également que leurs produits peuvent soulager cet inconfort ou améliorer le sommeil nocturne, et vont jusqu’à insinuer que le lait pour nourrissons peut aider au développement du cerveau et améliorer l'intelligence de l’enfant. Déduction qui ne repose sur aucune base scientifique. Enfin, le fait d’avoir établi des gammes de lait pour nourrissons avec une progression numérotée, dont on promeut l’utilisation croisée, « vise à fidéliser » les parents à la marque et constitue, selon The Lancet « une tentative flagrante de contourner la législation interdisant [dans de nombreux pays] la publicité pour les laits pour nourrissons. »
Ces « pratiques commerciales douteuses » mais « très efficaces », utilisées par les fabricants, seraient « aggravées » en parallèle par un lobbying intense auprès des professionnels de santé et des décideurs politiques. Comme cela arrive souvent, ce lobbying s’exerce parfois « secrètement » par le biais d'associations professionnelles et de « groupes de façade ». Pour le journal, cet ensemble de constatations pousse à conclure que les entreprises de lait pour nourrissons « exploitent les émotions des parents et manipulent les informations scientifiques pour générer des ventes au détriment de la santé et des droits des familles, des femmes et des enfants. »
En France, des sociétés pédiatriques sous influence
En France, au même moment, un appel collectif dénonce également le « rôle néfaste des industriels sur la protection de la santé du nourrisson » qui s’illustre par une décision récente de la Société Française d'Allergologie de donner 10 ml de lait 1er âge, chaque jour, aux nouveau-nés allaités ayant des antécédents familiaux d’allergie dès la première semaine de vie, et ce jusqu’à la diversification afin de prévenir l'allergie aux protéines de lait de vache. Une décision « problématique » selon le collectif car elle va « complètement » à l'encontre des connaissances et du consensus scientifique sur la protection de la santé du nourrisson et de sa mère, « ignore la protection conférée par un allaitement exclusif » et ne reconnaît pas la classification de ces produits comme des produits ultra transformés « responsables de nombreuses maladies chroniques ».
Le collectif rappelle également que la Société Française d'Allergologie a vu le jour avec le « soutien institutionnel » d’une entreprise appartenant au groupe Nestlé, « lui-même connu pour ses infractions au Code de commercialisation des substituts du lait maternel » et pointe du doigt un « conflit d’intérêts manifeste [puisque] les entreprises de « lait 1er âge » ont tout à bénéficier de cette recommandation, qui augmenterait leurs ventes. »
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Des femmes aux doubles journées qui se sentent culpabilisées
Si les rédacteurs du journal The Lancet, ainsi que des professionnels français, en appellent donc à une « promotion » et à un « soutien » plus « efficaces » de l'allaitement, le sujet reste délicat, notamment en raison d’autres problématiques. En effet, si nous savons que l’allaitement reste le meilleur atout pour la santé de l’enfant, les nouvelles générations de mères dénoncent ce poids qui pèse sur leurs seules épaules. Le lait pour nourrisson, popularisé dans les années 1960 en parallèle à l’entrée massive des femmes sur le marché du travail, a tout simplement permis à bien des mères de faire face à leurs doubles journées, mais a aussi encouragé la participation plus active des pères aux tâches parentales.
Aujourd’hui, de nombreuses femmes expliquent qu’elles vivent très mal cette injonction à l’allaitement et ont l’impression d’être de « mauvaises mères » si elles n’y souscrivent pas, ou n’y arrivent pas. En effet, s’il est recommandé d’allaiter son enfant jusqu’à ses six mois, et idéalement jusqu’à ses deux ans, la société, dans son ensemble, n’est pas encore organisée pour faciliter la vie des femmes allaitantes.
Allaiter dans un lieu public est souvent mal vu et les mères qui décident courageusement de tirer leur lait en entreprise, une fois les deux mois et demi de congé postnatal passés, se retrouvent souvent à le faire assises dans les toilettes ou en se cachant comme elles peuvent dans des salles de réunion inadaptées. Ainsi, tant que la société dans son ensemble ne sera pas mieux organisée pour faciliter la vie des femmes allaitantes, le lait pour nourrisson a de beaux jours devant lui et ce, peu importe la sournoiserie de ces stratégies marketing…
Références bibliographiques
« The 2023 Lancet Series on Breastfeeding », The Lancet, février 2023.
Appel collectif « Allergies alimentaires et protection de l’allaitement », Formindep.fr, 20 février 2023.
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