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Fatigue chronique, la piste intestinale
Microbiote intestinal déséquilibré, excès ou insuffisance de certains acides gras à chaîne courte, dysfonctionnement de nos mitochondries… les anomalies biologiques en jeu dans la fatigue chronique se précisent. Explications à partir de deux études récemment publiées sur le sujet.
L’encéphalomyélite myalgique (EM) – ou syndrome de fatigue chronique (SFC) – se caractérise par une fatigue débilitante inexpliquée, un dysfonctionnement cognitif, des troubles gastro-intestinaux et une difficulté à rester debout (intolérance orthostatique). Deux études conduites sur des patients EM/SFC sont parues simultanément dans la revue Cell Host & Microbe. La première étude (1) compare des malades récents (depuis moins de 4 ans) , des malades de plus longue date (depuis plus de 10 ans) et des personnes sans syndrome de fatigue chronique. Elle intègre les données cliniques détaillées, des informations sur le mode de vie, la métagénomique des selles (reflet de la composition du microbiote) et la métabolomique plasmatique (molécules produites par les micro-organismes) des différents groupes pour les comparer et en tirer des enseignements.
Les résultats montrent chez les personnes souffrant de fatigue chronique un microbiote intestinal déséquilibré (dysbiose), avec une réduction de la diversité microbienne intestinale, la présence ou non de certaines familles bactériennes paraissant déterminante pour l’EM/SFC. La dysbiose la plus importante a été observée chez les malades récents, qui souffrent davantage de troubles gastro-intestinaux. Ce qui laisse supposer que, comme pour de nombreuses maladies, les dysfonctionnements initiaux apparaissent dans l’intestin.
Curieusement, le microbiote des patients malades depuis longtemps se rapproche de celui des personnes saines. Ce qui n’empêche pas ces malades de présenter des symptômes plus graves et des désordres métaboliques plus importants, notamment au niveau immunitaire. Les chercheurs ont clairement constaté chez eux une baisse d’efficacité des lymphocytes T présents dans les muqueuses, une diminution des cellules CD8+ (agissant contre les agents pathogènes intracellulaires et dans les maladies auto-immunes) et des cellules natural killer (très impliquées dans la lutte contre les infections virales).
Le butyrate, un métabolite clé
La dysbiose observée chez les patients pourrait entraîner, à court terme, des événements biologiques en cascade et engendrer, à long terme, des effets ailleurs dans l’organisme. Les chercheurs émettent l’hypothèse que la mise en place de l’EM/SFC commence par la perte de bactéries intestinales bénéfiques, en particulier celles productrices d’acides gras à chaîne courte (AGCC), ce qui se reflète plus tard dans les niveaux de métabolites plasmatiques. Parmi leurs missions, ces AGCC assurent l’équilibre entre les populations de lymphocytes T.
La seconde étude (2), basée sur les données multiomiques de 106 malades comparées à celles de 91 témoins sains, a révélé elle aussi un manque de diversité du microbiote et une moindre présence de certaines familles bactériennes chez les malades EM/SFC. Les bactéries Faecalibacterium prausnitzii et Eubacterium rectale, toutes deux reconnues comme favorisant la santé humaine et productrices abondantes de butyrate, étaient en proportions réduites chez ces derniers, de même que les taux de butyrate. Les symptômes les plus sévères sont en corrélation avec les taux les plus bas de F. prausnitzii.
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L’émergence d’un axe microbiote-mitochondries
Les AGCC sont des métabolites produits par les bactéries du microbiote intestinal. Outre leur rôle direct dans le bon fonctionnement des cellules de la muqueuse, ils agissent également sur la régulation de la réponse immunitaire ainsi que sur le métabolisme énergétique, c’est-à-dire la manière dont l’énergie est utilisée par notre corps. Leur action commence dans la muqueuse intestinale puis se répercute sur l’ensemble de l’organisme. Le butyrate, AGCC le plus étudié, est le carburant par excellence des cellules du côlon, jouant un rôle important dans la symbiose cellules-bactéries.
Le fonctionnement optimal de nos mitochondries se joue également dès l’intestin, et le butyrate est impliqué. Une supplémentation en butyrate, chez les personnes dont les taux sont insuffisants, améliore la respiration mitochondriale et l’intégrité de la muqueuse intestinale (3). Et la santé des mitochondries de l’intestin donne le ton à l’ensemble des mitochondries de l’organisme. Il existe bien un axe microbiote-mitochondries qui, depuis peu, fait l’objet de nombreuses publications. L’implication de cet axe dans les troubles neurologiques (4) commence à être prouvée.
À ce jour, il n’existe aucun test pour diagnostiquer l’EM/SFC dont les symptômes sont partagés avec d’autres troubles, notamment la fibromyalgie. La multiomique (l’analyse conjointe de données du génome, de l’épigénome, de nos protéines, de notre microbiote et des métabolites que nous produisons), une nouvelle discipline dans le champ de la santé, pourrait changer la donne et permettre d’identifier des marqueurs de risque de maladies futures.
Les AGCC peuvent être dosés à partir d’un échantillon de selles. Au point de vue alimentaire, la consommation de fibres solubles (FOS, pectines de fruits et légumes), le régime végétarien ou méditerranéen sont associés à des taux satisfaisants de bactéries productrices d’AGCC. Enfin, le butyrate peut être apporté directement sous la forme de postbiotique (métabolite provenant des bactéries), une alternative intéressante pour les gens qui supportent mal les probiotiques.
Références bibliographiques
(1) « Multi-‘omics of gut microbiome-host interactions in short- and long-term myalgic encephalomyelitis/chronic fatigue syndrome patients », Cell Host & Microbe, 2023. https://doi.org/10.1016/j.chom.2023.01.001
(2) « Deficient butyrate-producing capacity in the gut microbiome is associated with bacterial network disturbances and fatigue symptoms in ME/CFS », Cell Host & Microbe, 2023. https://doi.org/10.1016/j.chom.2023.01.004
(3) « Butyrate-induced Mitochondrial Function Improves Barrier Function in Inflammatory Bowel Disease (IBD) », Inflammatory Bowel Diseases, 2023. https://doi.org/10.1093/ibd/izac247.135
(4) « The Crosstalk between Microbiome and Mitochondrial Homeostasis in Neurodegeneration », Cells, 2023. https://doi.org/10.3390/cells12030429
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