La retraite, sans incapacités ?

Relayé d’un même chœur par la presse fin février, le « nombre d’années sans incapacité à 65 ans » a été évalué à 12,6 ans pour les femmes et de 11,3 ans pour les hommes » : autrement dit, tranquillisons-nous : même avec un âge de départ en retraite plus tardif, il nous resterait encore quelques « belles » années à vivre ! Ainsi parlent les chiffres de la Drees (Direction de la recherche, des études, de l’évaluation et des statistiques) pour 2021. Ils ont été publiés fin février 2023 et sont encore meilleurs que ceux de 2020, parus fin octobre 2021.

Cet indicateur, que l’on nomme aussi « espérance de vie sans incapacités », nous interpelle. Nous nous sommes demandé comment il était obtenu. Réponse : les statisticiens demandent aux différents membres d’un nombre variable de foyers ordinaires (16 000 en 2020, 17 000 en 2021) : « Êtes-vous limité(e), depuis au moins six mois, à cause d’un problème de santé, dans les activités que les gens font habituellement ? ». Ils calculent ensuite, sur la base de ces déclarations, le « nombre d’années sans incapacité » pour tous les âges (puisque les incapacités peuvent apparaître à tout âge).

Mais cet indicateur, qui sert aujourd’hui la cause de la réforme des retraites, ne concerne, par définition, que les personnes ayant survécu jusque 65 ans précisément sans incapacité, et seulement en métropole (les DOM-TOM sont jusqu’à présent exclus de l’enquête) ! Ne sont donc pas comptés tout un groupe d'individus : toutes les personnes malvoyantes ou malentendantes, en situation de handicap moteur ou intellectuel, les accidentés du travail, les accidentés de la route, les personnes hospitalisées ou en institution…

En revanche, si l’on considère l’espérance de vie sans incapacité à la naissance, elle est en 2021 de 65,6 ans pour les hommes et de 67 ans pour les femmes. (En 2020, c’était 63,9 ans pour les hommes et 65,3 ans pour les femmes.), ce qui est beaucoup moins réjouissant !

Les riches vivent plus vieux

De plus, comme le rappelle Pierre Méneton, biologiste et chercheur en santé publique à l’Institut national de la santé et de la recherche médicale (INSERM) dans un article paru sur AOC , « à 65 ans, 30 % des personnes les plus défavorisées sont déjà décédées, alors qu’elles ne sont que 5 % chez les personnes les plus favorisées » . Cela n’est pas souvent souligné, mais ce sont surtout les plus riches qui ont toutes les chances de vivre les plus vieux. L’Institut national de la statistique le confirme « plus on est aisé, plus l’espérance de vie à la naissance est élevée. » Elle est de 84,4 ans chez les 5 % d’hommes les plus aisés, contre 71,7 ans chez les 5 % les plus pauvres, soit 13 ans d’écart ! Chez les femmes, l’écart est moindre, mais tout de même de 8 ans.

Et pourquoi ? Parce qu’ils ne font pas non plus les mêmes boulots ! « L’espérance de vie moyenne à la naissance des ouvriers est de plusieurs années inférieure à celle des cadres, la différence pouvant aller jusqu’à une quinzaine d’années pour certaines professions comme les égoutiers. » rappelle aussi Pierre Méneton.

Ainsi, « le nombre d’années sans incapacité à 65 ans » ne permet pas du tout de mesurer toute la palette des inégalités socioprofessionnelles. On pourrait même dire qu’elle les gomme : retraite oblige, on n’est plus supposé travailler. Mais la santé d’un ancien cadre a toutes les chances a priori à 65 ans d’être meilleure que celle d’un ancien ouvrier, caissier, grutier ou agriculteur du même âge…

Lire aussi 64 ans, une retraite sous traitement

Lire aussi L’égalité des sexes allonge nos espérances de vie