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La médecine intégrative a-t-elle encore un avenir ? (Évidemment que oui !)

  •  La médecine intégrative a-t-elle encore un avenir ? (Évidemment que oui !)
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Une levée de boucliers importante est venue discréditer le projet très politique d’encadrement des approches complémentaires de santé par l'association « Agence des médecines complémentaires et alternatives ». Ce qui n'empêche pas les nombreux professionnels de santé du secteur de poursuivre leurs travaux d'évaluation sur les interventions non médicamenteuses.

Le 12 juin dernier, l’association Agence des médecines complémentaires et alternatives (A-MCA) a présenté un premier « rapport » de ses travaux. L’événement ce jour-là n’a pas rassemblé grand monde sur Teams : même la tête d’affiche, le Pr Emmanuel Hirsch, s’était désistée juste avant d’intervenir, prétextant par téléphone des soucis de connexion à Internet... Quant aux relais dans la presse, nous sommes bien peu nombreux à vous tenir au courant !

Petite histoire d’une fulgurante ascension

Tout commence en 2018. Cette année-là, le collectif FakeMed (1) porte le coup de grâce à l’homéopathie et déclare une guerre sans merci aux « médecines alternatives ». Dans ce climat d’inquisition, un trio de choc se présente alors avec l’intention pacifiste d’en fédérer tous les acteurs pour réfléchir de manière collaborative aux moyens de contrôler ce vaste domaine, jusqu’à présent non régulé… À sa tête, Serge Guérin, sociologue spécialiste des questions liées au vieillissement et auteur, il y a quelques années, d’un ouvrage sur les « quincados », siège au Haut Conseil de la famille, de l’enfance et de l’âge et préside le conseil scientifique de la Fondation Korian pour le bien vieillir (le groupe Korian gère notamment des EHPAD). À ses côtés, Philippe Denormandie, chirurgien (et père de Julien Denormandie, notre ministre de l’Agriculture), dirige les relations santé de la Mutuelle nationale des hospitaliers (MNH) après avoir été pendant vingt ans le directeur général adjoint du groupe Korian. Et enfin, Véronique Suissa, psychologue clinicienne, qui a longtemps exercé chez Korian elle aussi.

Leur appel est entendu : 52 experts issus de divers organismes allant de la Miviludes à France Alzheimer en passant par l’Institut national de la santé et de la recherche médicale (Inserm) ou la Direction générale de la santé (DGS) – avec la contribution de Jérôme Salomon –, sans oublier les groupes universitaires œuvrant déjà à l’évaluation et à la diffusion des informations et des formations relatives à ces pratiques, répondent présents. En guise de travail collaboratif, des contributions écrites individuelles sont demandées à chacun et rassemblées dans un ouvrage titré Médecines complémentaires et alternatives, pour ou contre ? paru en septembre 2019 chez Michalon. Une sortie médiatique qui permet d’attirer l’attention sur le trio. Ces derniers se constituent alors en association loi 1901 qu’ils appellent « Agence des médecines complémentaires et alternatives ». Promettant de « lever le flou entourant les pratiques », l’A-MCA organise dans la foulée (octobre 2019) un premier colloque national au ministère de la Santé avec les protagonistes de l’ouvrage, puis annonce vouloir organiser des rencontres parlementaires sur le sujet. Alternative Santé questionne à l’été 2020 Véronique Suissa sur l’ambition de l’A-MCA et les implications concrètes de son projet.

Le Covid passe par là, et voilà que, début 2021, l’A-MCA démarche les députés sur les bancs de l’Assemblée nationale afin de les rallier à sa cause. Elle publie en mars une tribune dans Le Monde , revendiquant sa reconnaissance officielle comme agence gouvernementale et annonçant le dépôt d’une résolution, signée par huit députés, à l’Assemblée ! Le 18 juin, l’Académie nationale de pharmacie dénonce par voie de communiqué de presse la démarche de l’A-MCA, considérant que l’évaluation et l’encadrement des thérapies complémentaires devraient être du ressort de l’Agence nationale de sécurité du médicament et des produits de santé (ANSM). Cela ne semble cependant pas encore faire partie de ses attributions !

A-t-on seulement besoin d’une agence ?

Entre temps, nombre des contributeurs qui soutenaient l’initiative à l’origine ont rompu les liens avec l’association, doutant tant de son sérieux que de son intérêt. « C’est extraordinaire ! Parce qu’ils ont fait paraître un livre et connaissent quelques députés, ils revendiquent une expertise dans ce domaine... Mais ces gens n’ont aucune légitimité ! », commente le Éric Mener, professeur de médecine générale à la faculté de médecine de Rennes et membre du CUMIC (Collège universitaire des médecines intégratives et complémentaires). « L’ensemble du collège universitaire a coupé les ponts avec eux, et pas de la manière la plus cordiale ! », ajoute le Pr Jacques Kopferschmitt, fondateur et ancien président du CUMIC. « Le principe d’une agence est absurde ! Et puis ce n’est pas comme cela qu’on procède habituellement pour créer une instance gouvernementale ! Au départ, ce qui était envisagé, c’était un observatoire afin de voir comment avancer ! », explique le professeur, également réanimateur et interniste aux hôpitaux universitaires de Strasbourg, et vice-président du Groupe d’évaluation des thérapies complémentaires personnalisées et des pratiques innovantes (GETCOP). Il dépeint l'A-MCA comme une structure au « climat glaçant », bien plus préoccupée par ses ambitions politiques que par l’envie de travailler de manière collaborative. Et tous ceux qui planchent depuis longtemps sur l’évaluation des thérapies complémentaires n’avaient évidemment pas attendu son arrivée providentielle pour commencer à travailler !

Pour une évaluation sans chasse aux sorcières

N’en déplaise au collectif FakeMed, ce travail d’évaluation est nécessaire. Et souhaité par l’Académie nationale de médecine elle-même comme elle l’a rappelé dans un communiqué le 7 juin dernier. L'un de ses membres, le Pr. Bruno Falissard, travaille depuis longtemps sur leur évaluation scientifique et a, à ce titre, coordonné les rapports thématiques de l’Inserm sur la sophrologie (2020), l’étiopathie (2018), la kinésiologie (2018), l’hypnose (2015), l’acupuncture (2014), le jeûne (2014), l’auriculothérapie (2014), l’ostéopathie (2012), la chiropratique (2011), le décodage biologique (2011) ou encore la mésothérapie (2010)... Tous ces rapports présentent les disciplines, donnent la parole à ceux qui les pratiquent en France, analysent les études réalisées sur leurs impacts santé et évaluent les risques associés à leur usage. S'ils pointent souvent un faible niveau de preuves d'efficacité – selon les canons habituels de la recherche médicale –, ils soulignent aussi l’insuffisance des recherches et les difficultés d’évaluation. « Les essais cliniques randomisés en double aveugle ont été créés très spécifiquement pour le médicament. Or, pour les interventions non médicamenteuses (INM), ces protocoles d’étude ne sont pas toujours applicables et nous travaillons depuis dix ans à d’autres moyens d’évaluation... », rappelle le Pr. Grégory Ninot de l'Université de Montpellier, initiateur de la Plateforme CEPS (Plateforme universitaire collaborative d’évaluation des programmes de prévention santé et des soins de support) qui anime régulièrement des rencontres scientifiques sur les INM et dont les vidéos sont partagées sur le site icepstv.fr.

L’évaluation scientifique est d’ailleurs un point majeur de l’engagement de Berlin, pris en 2017 par les participants au congrès mondial de la médecine et de la santé intégratives (WCIMH). Elle est également inscrite dans l’ appel de Montpellier , rédigé par des collectifs universitaires en 2019. Cet appel, adressé à 201 acteurs et décideurs politiques, y compris au niveau européen, est un peu resté lettre morte, avec un taux de réponse de l'ordre de 11 %. « Ceux qui nous ont répondu se renvoient la balle et personne n’ose se positionner », note Grégory Ninot. Il faut dire que le terrain est glissant : les politiques ont évidemment peur d’être accusés d’investir du temps et des fonds pour des pratiques soupçonnées d’emblée d’être au mieux inefficaces, au pire à risque de dérives sectaires…

Ainsi, scrutant la liste des contributeurs aux travaux de l’A-MCA, les sceptiques n’auront pas manqué de souligner la présence du Pr Jacques Kopferschmitt, accusé d’appartenir au mouvement anthroposophique pour avoir simplement écrit et signé, en tant que président du CUMIC, la préface d’un livre blanc sur la médecine anthroposophique ! Une préface invitant, en l’occurrence, à l’évaluation rigoureuse, et dans laquelle on ne trouve aucun mot partisan. « Je n’ai absolument rien à voir avec ce mouvement ! », nous a-t-il d’ailleurs confirmé, quelque peu lassé, rappelant que la médecine anthroposophique étant pratiquée en Europe, notamment en Allemagne, en Suisse, et même en France, beaucoup de gens y recouraient et qu’il était légitime que le CUMIC s’y intéresse aussi.

Ce d’autant que, comme le rappelle l’Académie nationale de médecine dans son communiqué, « les thérapies complémentaires doivent être enseignées dans les facultés de médecine et les instituts de formation aux professions de santé (telles que référencées dans le code de la santé publique) afin que les professionnels en connaissent les intérêts potentiels et les limites afin de conseiller les patients en toute transparence et objectivité ». Satisfaction cette année, « le CUMIC a permis d’instaurer une vingtaine d’heures d’enseignement obligatoire sur ces thérapies en second cycle de médecine, avec des questions inscrites au concours de l’internat ! », se réjouit Éric Mener.

Les interventions non médicamenteuses, qu’elles soient à visée thérapeutique, préventive ou tout simplement de bien-être, continuent de susciter l’intérêt de tous les soignants. La Plateforme CEPS a par exemple contribué à la rédaction du récent guide des INM dans la maladie d’Alzheimer , édité par la Fondation Médéric Alzheimer. Les protocoles sont détaillés, ainsi que leurs indications et contre-indications. Le guide détaille également ce que l’on peut en attendre, et où en est l’évaluation. Et saviez-vous que même l’union des entreprises du médicament (Leem) s’y intéressait ? Son rapport prospectif « La santé en 2030 » (paru en 2019) consacre un chapitre à la médecine intégrative, notant qu’il est temps de « dépasser le clivage entre l’ancien et le nouveau monde et de progresser vers une médecine plus efficiente fondée sur une approche globale » . Le rapport cite à l’appui les grands centres américains de lutte contre le cancer qui proposent désormais des ateliers d’art-thérapie, d’hortithérapie ou d’activités physiques adaptées, ainsi que des consultations d’ostéopathie, d’acupuncture ou encore de nutrition. Les farouches opposants aux approches de santé non médicamenteuses n’ont sans doute pas fini de ronger leurs freins !

 

(1) Note : Le collectif FakeMed est constitué à l’origine de médecins, dont on ne connaît souvent que le pseudonyme, qui se sont regroupés à la faveur des rencontres sur le réseau social Twitter et d'un hashtag emblématique #NoFakeMed. Ils ont publié, grâce au soutien d’une journaliste du Figaro qui les y a invités, une tribune à charge contre les médecines alternatives (notamment contre l’homéopathie, assimilée à un remède charlatanesque, mais aussi contre l’acupuncture ou la mésothérapie) à l’été 2018. Ils étaient alors 124 (rappelons que la France compte plus de 250 000 médecins…). Ils n’ont pas fait dans la nuance : le Conseil national de l’Ordre des médecins a même sanctionné dix d’entre eux pour non-confraternité à la suite de plaintes déposées par le Syndicat national des médecins homéopathes français…

 

En aucun cas les informations et conseils proposés sur le site Alternative Santé ne sont susceptibles de se substituer à une consultation ou un diagnostic formulé par un médecin ou un professionnel de santé, seuls en mesure d’évaluer adéquatement votre état de santé


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