Accueil Entretiens Ruby Wax : « La mindfulness c'est l'enfer »
Ruby Wax : « La mindfulness c'est l'enfer »
Actrice, scénariste, productrice et réalisatrice américaine ayant fait carrière en Grande-Bretagne, Ruby Wax a longtemps été connue pour sa personnalité charismatique et son humour décapant. Après avoir traversé des épisodes dépressifs sévères de dépression, elle s’est formée à la mindfulness, une méthode de méditation de pleine conscience qui a fait ses preuves contre la dépression. Elle a documenté son parcours à travers du stand up (avec son spectacle Losing It), des conférences, des séries vidéos pour la chaîne BBC et plusieurs livres. À l’occasion de la traduction en français de son dernier ouvrage (Réveillez-vous ! Petit précis de pleine conscience à l’usage des gens surmenés, éditions du Cherche-Midi), nous l’avons interrogée sur ce que la mindfulness lui avait apporté.
Pourquoi vous êtes vous intéressée à la mindfulness ?
J’étais dépressive et ne voyais pas de porte de sortie. Je n’ai pas eu d’épiphanie, de grand moment de clarté ou de vision soudaine du chemin à suivre pour m’en sortir. On ne sort pas de la dépression comme ça, juste avec des pensées positives : il faut travailler sur, ou plutôt contre, sa dépression. Dans cette optique, j’ai décidé de lire tous les manuels et toutes les recherches disponibles pour voir ce qui avait le plus de preuves d’efficacité empirique pour lutter contre la dépression, l’anxiété et l’épuisement nerveux. Et j’ai constaté que c’était les thérapies comportementales et en particulier la mindfulness. J’avais déjà essayé tout le reste. Et je veux dire, vraiment tout le reste ! Me marier à moi-même sur une plage, frapper à coups de battes de baseball un oreiller en l’appelant « papa »… Avec la mindfulness, je pouvais en comprendre les bases scientifiques, ce qui était primordial pour moi car sans preuve je n’y aurais pas cru. C’était la garantie pour moi que je ne m’engageais pas dans quelque chose de trop new age. Je savais notamment qu’on pouvait après quelques séances objectiver les résultats avec des scans cérébraux qui démontraient le développement de certaines aires cérébrales. Et puis ils enseignaient la mindfulness à l’université d’Oxford, qui n’est pas connu pour être le haut lieu de la sorcellerie… C’est ce qui m’a convaincue, d’autant que j’ai pu l’apprendre de l’homme qui a inventé la méthode.
Comment avez-vous su que c’était la méthode pour vous ?
Il n’y a pas un moment où on se dit tout à coup : « Ça marche ! » ; c’est un parcours long et patient. Car, disons le franchement, la mindfulness c’est l'enfer : c’est l’équivalent cérébral d’aller dans une salle de gym pour y soulever les haltères les plus lourds du monde. Et puis il faut simplement « s’y coller », avec la même persistance dans l’effort que pour voir apparaître ses abdos à la salle de sport. Et de la même manière, voir les premiers résultats apparaître encourage à continuer et persévérer. C’est un progrès graduel, à condition d’être très régulier, c’est-à-dire de pratiquer cette gym cérébrale tous les jours, même si ce n’est que quelques minutes.
Comment marche la mindfulness ?
Pour lever tout malentendu, la mindfulness n’a rien à voir avec la recherche du bonheur : il ne s’agit pas de dire bonjour à ses assiettes avec un sourire béat pendant qu’on fait la vaisselle. C’est un muscle à travailler. Et quand les choses tournent mal pour vous, un outil puissant est à votre disposition pour amortir le choc. Cette pratique est là pour vous rappeler : « Ne restez pas emprisonné dans vos pensées ». Nous le faisons tous évidemment, mais cette méthode vous permet d’appuyer sur le bouton « pause » et freiner ces pensées noires et envahissantes. Vous pouvez, dès lors, observer ces pensées en spectateur plutôt que d’être pris dans leur tourbillon. Personnellement je les ai encore, ces pensées encombrantes, mais je m’y suis habituée, et j’arrive maintenant à me dire : « Ce ne sont que des pensées ». Cette distance vous permet de choisir celles que vous décidez de suivre ou pas.
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Quand vous sentez des pensées sombres arriver, que faites-vous ?
Un des intérêts principaux de la mindfulness, c’est de vous permettre de prévoir votre effondrement psychique avant qu’il n’arrive. C’est la bonne nouvelle, car alors vous disposez de leviers. Lorsqu’on n’est pas conscient de ses pensées, on est pris par surprise : c’est ce qui arrive souvent lorsque les gens « craquent » ou ont des pensées suicidaires. Pourtant, il y a des signes avant-coureurs qu’on peut apprendre à décrypter, notamment avec la pratique de la mindfulness. La dernière fois que j’ai senti que ça m’arrivait – chez moi ça se traduit par un tsunami de cortisol, l’hormone du stress – j’ai fermé tous mes réseaux sociaux. J’ai également mis un stop à mes sorties mondaines avec de parfaits inconnus, alors qu’un de nos instincts peut être de vouloir « voir du monde » – souvent pour ne pas reconnaître qu’on a un problème. J’ai été globalement plus douce avec moi-même, et suis partie faire une retraite silencieuse plutôt que de continuer à travailler. Résultat : ma crise a duré cinq jours plutôt que cinq mois, comme c’était le cas auparavant. C’est ça qui récompense vos efforts.
Se soustraire aux stress de toute sorte n’est pas donné à tout le monde…
Avoir des pensées en permanence et être soumis au stress est une caractéristique humaine. Ça a d’ailleurs été historiquement la condition de notre survie : sans notre amygdale [partie du cerveau en charge de la gestion du danger NDLR] on se contenterait de présenter à nos prédateurs ou agresseurs un visage souriant. Mais dans le passé, nous n’étions pas tant stimulés, ni soumis à des pics de cortisol si répétitifs. Aujourd’hui on peut, quoi qu’on en dise, choisir de s’exposer ou pas à des stress inutiles. Dans mon cas, je suis assez consciente de mes fluctuations intérieures pour savoir quand arrêter de m’exposer aux actualités glauques et faits-divers à rebondissements. Cette fascination addictive pour le pire, les médias savent la nourrir, ainsi que nos peurs. Mais lorsque nous avons peur, nous ne pouvons pas penser rationnellement. Ceci étant dit, il faut éviter de se juger trop durement : nous sommes tous humains, avec nos addictions et nos failles, nos comportements typiquement humains.
Pourrait-on décrire la mindfulness comme une technique d’auto-support ?
Jusqu’à un certain point, car je suis quand même toujours sous antidépresseurs. Mais si les antidépresseurs marchaient, il n’y aurait pas de rechute, ce qui n’est évidemment pas le cas. Le travail d’un thérapeute psy c’est d’écouter vos tourments et d’être compréhensif et gentil avec vous, sans poser de jugement. La mindfulness c’est de la thérapie sans thérapeute en quelque sorte. C’est vous qui vous observez, vous habituez à vos tourments et qui vous pardonnez. Cette nouvelle compréhension a fait que, dans mon cas, je n’ai plus été « déprimée par le fait d’être déprimée » ; une pathologie contemporaine qui consiste à battre sa coulpe quand on n’est pas « à la hauteur », à ne pas être indulgent avec soi… Il faut travailler à être et rester éveillé mais aussi savoir se pardonner.
Aller plus loin :
Site de Ruby Wax : www.rubywax.net
Livre : Réveillez-vous ! Petit précis de pleine conscience à l’usage des gens surmenés, éditions du Cherche-Midi, 250 pages, 17 €
Où pratiquer la mindfulness: Association pour le développement de la mindfulness
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