Accueil Entretiens "Les Français vont plus mal qu’il y a quarante ans" Sylvie Wieviorka
"Les Français vont plus mal qu’il y a quarante ans" Sylvie Wieviorka
Sylvie Wieviorka a exercé la psychiatrie de la fin des années 1970 à nos jours. C’est sur la base de ses consultations qu’elle témoigne dans un livre des immenses bouleversements qui ont traversé la société française en quarante ans. Santé mentale, addictions, troubles chez l’enfant, souffrance au travail : le rapport entre les individus et la société s’est modifié profondément dans de multiples domaines.
Alternative Santé : Quel est a été l’élément déclencheur de la rédaction de votre livre ?
L’idée était d’essayer de participer à la réflexion autour des questions de santé mentale. Plus particulièrement aux rapports entre les problématiques de santé mentale et la société dans son ensemble. J’ai également souhaité montrer, sur la base de mon constat personnel, comment, en quatre décennies, la façon de percevoir le monde s’était considérablement modifiée. Je pense que nous ne sommes pas conscients de l’énormité des bouleversements qui se sont produits dans le domaine des troubles psychiatriques ces quarante dernières années.
Quelles sont les évolutions les plus notables ?
Il y a quarante ans, les psys soignaient, pour l’essentiel, des
personnes présentant des maladies mentales. Autrement dit, qui
consultaient pour des psychoses, des dépressions, etc. En bref, des personnes qui étaient malades, qui se vivaient comme malades et qui consultaient pour demander du soin. Nous sommes passés à une époque où la santé mentale concerne tout le monde.
Je pense que c’est un changement extrêmement important, présentant de bons et de moins bons côtés. Le point positif est l’impact très déstigmatisant. Je veux dire par là qu’il n’y a peut-être pas une telle différence de nature entre des individus présentant des maladies psychiatriques avérées et des gens comme vous et moi, qui ne vont pas trop mal mais qui, de temps en temps, ont de petits coups de blues ou des angoisses. Le côté peut-être plus curieux est que nous avons tendance à psychologiser touteune série de difficultés de la vie sociale et relationnelle qui ne sont, peut-être, pas vraiment du ressort de la psychologie et de la psychiatrie.
L’inquiétude quant à sa santé mentale serait en quelque sorte amplifiée par l’intérêt que l’on y porte ?
Oui, je crois beaucoup à cela. Mon point de vue est que si je vous demande comment vous allez, vous allez me répondre que ça va. Puis, si j’insiste en vous demandant si vous dormez bien, si vous mangez bien, si vous n’êtes jamais anxieuse, nous allons finir par trouver quelque chose. Personne, ou alors je pense que cela se révélera pathologique dans un autre sens, ne traverse l’existence sur un tapis de fleurs et le sourire aux lèvres. Plus vous dites à quelqu’un qu’il a l’air d’aller mal, plus il se sent mal.
Vous soulignez la technicité et la pathologisation des termes employés...
Oui. Si l’on prend l’exemple de l’enfance, en 1984, lors de mes consultations, je pouvais entendre : « Mon fils m’épuise, je n’arrive pas à ce qu’il se tienne tranquille. Pouvez-vous me don-ner des conseils ? » Actuellement, ce serait plutôt : « Mon fils souffre de TDAH (Trouble déficit de l’attentionavec ou sans hyperactivité, ndlr). Je pense qu’il faut le mettre sous Ritaline. »
Si l’on adopte une vision optimiste du sujet, on peut se dire
que ces troubles étaient jadis sous-diagnostiqués car l’on ne
connaissait pas ces pathologies. Pour prendre ...
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