Jean-Baptiste Talmont
Doit-on rappeler les chiffres ? Comme le précisait François Lehn, auteur de notre dossier sur la maladie d’Alzheimer, " il existerait déjà plus de 25 millions de personnes atteintes dans le monde, dont près d’1 million en France. Après 85 ans, 22 % environ des sujets seraient touchés par la maladie […]. Des études américaines prévoient près de 14 millions de cas aux États-Unis en 2050, quand le chiffre avancé pour la France s’approche des 2 millions ".
Les causes de la maladie restent inconnues et quant au traitement, c’est simple, il n’y en a pas. Les résultats des essais thérapeutiques sont encore à ce jour tous décevants et " personne n’a d’idée précise du bénéfice éventuel des molécules en réserve, qui pourront constituer des médicaments dans quinze ou vingt ans ". On ne va donc pas se mentir, le tableau est assez noir.
Sauf que, depuis plus de trente ans, le neurologue américain Dale Bredesen travaille d’arrache-pied avec son équipe de recherche à l’université de Californie à Los Angeles pour peaufiner le protocole Recode, pour Reversal of Cognitive Decline ou " réversion du déclin cognitif ". Tout est dit.
Pour pouvoir prendre en charge le plus tôt possible la pathologie, il est essentiel de connaître les premiers symptômes. Cette liste décrit les plus courants. Toutefois, il est important de rappeler qu’en fonction des stades de la maladie, d’autres symptômes peuvent apparaître, ainsi que d’autres troubles cognitifs :
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Pour Dale Bredesen, si jusqu’à présent, la science n’a pas été capable de proposer un traitement efficace, c’est parce que la façon actuelle d’aborder la maladie d’Alzheimer n’est pas la bonne. Pendant des années, la plupart des chercheurs estimaient que la maladie était due à une accumulation de plaques d’amyloïde et de protéine Tau dans le cerveau, interférant avec le fonctionnement des neurones. Il est vrai qu’à l’examen, le cerveau d’un patient atteint d’Alzheimer montre une augmentation pathologique des plaques d’amyloïde.
Très logiquement, la piste thérapeutique a été de trouver des médicaments chargés de les éliminer. Mais 99 % des produits conçus en ce sens ne fonctionnent pas. Et ceux disponibles sur le marché n’améliorent que brièvement les symptômes, sans ralentir la progression de la maladie.
Le postulat du Dr Bredesen est que les plaques d’amyloïde ne sont pas la cause (la pathogenèse) de la maladie d’Alzheimer, mais son effet (la pathologie). En temps normal, le cerveau n’a de cesse de créer et supprimer des connexions, et ce de façon équilibrée. Dans la maladie d’Alzheimer, le processus s’emballe. Le cerveau surfabrique de l’amyloïde et concentre la protéine Tau. Il perd alors sa capacité à créer de nouvelles connexions neuronales. Comme le confiait le neurologue français Bernard Aranda à François Lehn en 2018, " ce processus qui s’emballe est en fait une réaction de protection du cerveau. L’importance de l’approche du Dr Bredesen se situe là ".
S’il y a protection, c’est qu’il y a agression ou du moins menace. Ce sont les 36 facteurs que Bredesen a identifiés, qui contribuent à cette maladie complexe, et qu’il a répartis en trois types. C’est en traitant le plus grand nombre de ces facteurs que le patient s’assurerait de l’inversion de la dégénérescence. Les trois types sont le type 1 qui est inflammatoire, le type 2 qui est atrophique, et le type 3 qui est toxique. Trois types d’Alzheimer, 36 facteurs minimum, vous l’aurez compris, le protocole Recode n’est pas pensé pour être standardisé, mais véritablement adapté à chaque profil de malade.
Et bien évidemment, pour bien s’adapter, pour être proprement individualisé, encore faut-il savoir à qui on a affaire. Quel individu se présente ? Il s’agit d’abord de faire une évaluation : l’évaluation approfondie de la santé du cerveau par des tests cognitifs, des imageries tels des scanners, des analyses de sang, l’évaluation des antécédents familiaux, et d’autres tests pour identifier les causes sous-jacentes du déclin cognitif. Ensuite, le protocole Recode se compose de nombreuses étapes dont on peut citer :
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Les études scientifiques, observationnelles pour la plupart, sont assez nombreuses. La première est une étude de cas publiée en 2016 dans le Journal of Alzheimer’s Disease qui a examiné l’effet du protocole Recode chez 10 patients atteints de la maladie d’Alzheimer ou de troubles cognitifs légers. Les résultats ont montré une amélioration significative de la cognition sur 9 des 10 patients, mesurée par des tests cognitifs standardisés, ainsi qu’une amélioration des marqueurs biologiques de la santé du cerveau. S’en sont suivis d’autres, en 2018, 2019, 2020. Mais elles ne portaient que sur un nombre restreint de participants. Une étude d’octobre 2021* a changé la donne. Portant sur un panel de 255 patients, elle a montré que sur ceux qui ont suivi le protocole Recode, les scores de santé cognitive s’étaient soit améliorés de manière significative, soit stabilisés et que d’autres facteurs de risque, notamment la glycémie, la protéine C-réactive haute sensibilité ou la vitamine D s’étaient également améliorés de manière significative. L’étude avère qu’un programme thérapeutique multifactoriel, complet et personnalisé, conçu pour atténuer les facteurs de risque de la maladie d’Alzheimer, peut améliorer les scores des facteurs de risque et stabiliser ou inverser le déclin des fonctions cognitives.
Qu’est-il passé depuis 2018, date de notre dossier ? La réponse est dans la sortie du dernier livre du Dr Dale Bredesen qui compulse sept témoignages de survivants d’Alzheimer. Survivants. Le terme est fort car si chacun connaît une personne qui a survécu à un cancer, personne n’a jamais entendu parler de personnes ayant survécu à la maladie d’Alzheimer.
Parmi les témoignages, citons celui de Kristin. Dans son journal intime, elle écrit en 2011 : " Je sais que je suis sur la pente glissante de la maladie d’Alzheimer et je suis terrifiée. Je n’ai plus de mémoire à court terme. Les idées s’envolent de ma tête quelques secondes après leur formation […]. Mon cerveau se dérobe. " Femme hyperactive, elle ressent son " premier brouillard cérébral " dans la quarantaine.
Quelques années après la rédaction de ces lignes, son état s’est progressivement dégradé. Par le biais d’une amie, à l’âge de 68 ans, elle rencontre le Dr Bredesen. D’abord sceptique, mais prête à tout pour sauver son cerveau, elle accepte de se plier à son protocole. Elle ne le sait pas (et peut-être qu’elle s’en fiche éperdument), mais elle est la première patiente à le tester, " la patiente zéro ". Même si elle ne comprend pas tout, elle adhère à la métaphore employée par Bredesen comparant le cerveau endommagé à un toit qui aurait 36 trous (les fameux " 36 facteurs ") qu’il faut combler un à un. Et elle se lance, bouleversant ses habitudes pour en épouser d’autres moins délétères.
Le sommeil a été un premier défi. Si elle s’endort sans problème, c’est pour se réveiller quelques heures plus tard sans pouvoir se rendormir. Il lui a fallu près d’un an pour bénéficier d’une nuit de sommeil complète de sept heures. Et les efforts consentis ont été nombreux. " Je garde la chambre à coucher fraîche et sombre. J’ai retiré tous les appareils électroniques, les horloges électriques, les modems Internet et la télévision de la pièce. J’éteins mon téléphone portable et ne le place pas près de ma tête. Je prends de la mélatonine à libération prolongée trente minutes avant de me coucher. Je n’utilise pas d’appareils électroniques une heure avant de me coucher. Le soir, je lis des livres en version papier […] ", et la liste est encore longue mais c’est à ce prix que Kristin aime s’endormir " dans l’espace sacré [qu’elle a] créé. "
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Pour l’alimentation, elle se pensait dans les clous en étant végétarienne. Seulement, ayant cédé à la promotion des aliments pauvres en graisse orchestrée par l’industrie alimentaire et les médecins, elle a adopté le tout " allégé ". Sans le savoir et pensant même bien faire, elle consommait de la malbouffe par ces aliments ultra-transformés contenant des édulcorants, du sucre, des additifs. Lorsqu’elle commence le protocole, Kristin bannit le gluten de son alimentation. Effets immédiats sur son état de santé général, et sur les ballonnements et reflux gastro-œsophagiens en particulier. Elle perd 8 kilos en six mois et constate que son " brouillard cérébral s’est dissipé ". " J’ai pu réfléchir à nouveau ! " partage-t-elle avec enthousiasme.
Autre " trou dans le toit " à combler, l’inflammation. " Vers l’âge de 40 ans, j’ai commencé à ressentir des douleurs arthritiques dans les mains et les genoux. Le matin, régulièrement, je me réveillais si raide que je devais descendre les escaliers de côté pour ne pas trop plier les genoux. " Ici, c’est la prise de compléments alimentaires, et tout particulièrement de curcumine qui semble être venue à bout de son état inflammatoire et qui " élimine l’inflammation dans [ses] articulations ainsi que dans son cerveau ".
Après avoir éliminé les neurotoxines qui l’empoisonnaient (en l’occurrence l’exposition aux moisissures dans son habitat), le respect du protocole l’oblige à se protéger de toutes formes de substance nocives, et à respecter scrupuleusement certains points. Outre ceux déjà vus (appareils électroniques maintenus le plus loin possible, adoption d’un régime méditerranéen, attention portée à dormir 7 heures à 7 h 30 par nuit), elle se soucie de l’eau, qu’elle filtre et ne boit que dans des contenants en verre ou en inox (exit le plastique et l’aluminium). Elle jeûne, " au moins dix heures entre le dîner et le petit-déjeuner et périodiquement pendant vingt-quatre heures, en ne consommant que de l’eau ". Elle utilise des épices anti-inflammatoires " comme la cannelle (un quart de cuillerée à café par jour), le poivre de Cayenne, le poivre noir et le curcuma ". Elle fait attention à son hygiène bucco-dentaire (brossage, fil dentaire régulier, détartrages très fréquents). Elle a banni les produits ménagers pétrochimiques et utilise le duo gagnant (bicarbonate de soude et vinaigre blanc). Pour éprouver son cerveau, elle suit " des cours de niveau supérieur sur des sujets difficiles comme la neurologie ". Elle pratique le yoga quotidiennement et " l’aérobic pendant quarante-cinq minutes par jour, quatre à cinq fois par semaine ". Enfin, elle médite " vingt minutes deux fois par jour ", elle maintient " le stress au minimum ", fréquente ses amis et sa famille et, " très important, [elle] garde une attitude positive ".
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C’est effectivement un point très important puisque, comme le rappelle Kristin, " le processus de rétablissement est lent, mes pensées brumeuses et mes trous de mémoire n’ont pas disparu rapidement ". Plus loin, elle rappelle : " La guérison du cerveau après des années de négligence et d’abus ne se fait pas du jour au lendemain. Les dommages se sont produits insidieusement pendant de nombreuses années avant d’atteindre le point de déficience cognitive perceptible. "
Oui, mais Kristin, la " patiente zéro ", a aujourd’hui 77 ans, et suit le protocole depuis près de dix ans. Même si elle n’a " pas l’impression d’être guérie ", ses " symptômes ont disparu ". Pour réussir ce tour de force, " il faut s’y tenir ". Mais " le revirement miraculeux se poursuit jour après jour ". Un miracle qui tient surtout à la persévérance et l’engagement. Comme l’écrit Kristin : " Les demi-mesures ne mènent nulle part avec ce protocole ".
S’il y a un praticien historique du protocole Recode en France, c’est bien le neurologue Bernard Aranda, officiant à Courbevoie, en Île-de-France. Auteur de la préface du dernier livre de Bredesen, il a également publié en 2018, Le régime cétogène pour votre cerveau, aux éd. Thierry Souccar.
Mais afin d’assurer une transmission de son protocole, Dale Bredesen a mis au point une certification appelée Recode 2.0, dont commencent à bénéficier médecins et thérapeutes francophones.
Les premiers survivants d’Alzheimer, du Dr Dale Bredesen, éd. Thierry Souccar, avril 2023.