Élise Kuntzelmann
Déjà, je suis hépatologue et nutritionniste, c’est donc ce qui m’intéresse. Mais surtout, je reçois des patients qui, quel que soit leur niveau socio-économique, présentent des maladies du foie. Nombre d’entre eux me posent des questions récurrentes à travers lesquelles je perçois leur étonnement d’être malades du foie sans jamais avoir été ivres. Ils ne se rendent pas compte qu’ils s’infligent ces maladies à cause de leur mode de vie. Or, je pense que c’est d’autant plus important à faire savoir lorsque l’on constate qu’il n’y a quasiment plus de cas d’hépatites virales.
Il existe, en effet, un vaccin contre l’hépatite B et des médicaments très efficaces contre l’hépatite C.
J’observe une augmentation des maladies du foie et une modification de leur nature. Jusqu’à il y a dix ans environ, celles dont la prévalence était la plus importante étaient liées aux hépatites B et C. Aujourd’hui, l’incidence du cancer du foie, même sans cirrhose, ne cesse d’augmenter. Je traite aussi de plus en plus la Nash [Non-Alcoholic Steato Hepatitis en anglais, NDLR], c’est-à-dire la stéatopathie métabolique, que je qualifie de maladies nutritionnelles du foie, incluant malbouffe et alcool. Quand je dis malbouffe, je fais référence aux sucres que l’on trouve dans le sucre lui-même, les féculents, les aliments transformés, les graisses – bien sûr, il y a les bonnes et les mauvaises – et l’alcool. Tout ça mélangé fait exploser l’incidence de ces pathologies. Je le répète, trop de patients me disent " Je suis malade du foie mais je n’ai jamais été ivre ".
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Oui, le plus souvent. Si vous combinez un petit surpoids et un peu d’alcool, disons deux verres par jour, vous allez potentiellement développer une maladie du foie. Si vous buvez ces mêmes deux verres d’alcool par jour et que vous n’êtes pas gros, ce sera mieux toléré. En revanche, si vous les buvez et que vous les associez à une alimentation pauvre en fibres, riche en sucre et en graisse, l’alcool peut alors vous rendre malade.
C’est très compliqué. Autant, il est facile de prendre un médicament, autant il peut être compliqué de perdre du poids et de changer d’alimentation. C’est pour cela que j’ai écrit que mon livre " emmerde " : d’une part, en tant que médecin, vous obligez les patients à changer leur mode de vie et, d’autre part, l’organisme a une mémoire. Autrement dit, si vous modifiez votre mode de vie et qu’ensuite vous revenez trop vite à votre mode de vie antérieur, du fait de cette mémoire, vous allez avoir un effet boomerang ou yo-yo qui fait que cela va paradoxalement s’aggraver. Le mieux est donc d’y aller en douceur. J’explique ainsi à mes patients l’intérêt de bien se nourrir, du biorythme, du jeûne intermittent et du bien-fondé ou non des cures détox dont tout le monde parle. Après cela, je laisse les personnes libres de faire ce qu’elles veulent. Obliger quelqu’un ne fonctionne pas.
Ce n’est pas évident : le foie est un enfant très sage, qui ne vous parle pas. Lorsqu’il commence à vous parler, il est déjà un peu trop tard. Parfois, quand il est un peu gros, vous pouvez ressentir une douleur un peu sourde sous les côtes à droite.
Concrètement, on peut mesurer son tour de taille au niveau du nombril en utilisant un mètre ruban : si une personne de type européen présente un tour de taille supérieur à 94 cm pour un homme, et à 80 cm pour une femme, il faut se poser la question de comment va son foie. C’est assez grossier mais cela donne déjà une bonne indication. Même si l’indice de masse corporelle (IMC) n’est ni très spécifique ni très sensible non plus, il fournit tout de même une information. Et puis, le dosage des enzymes du foie (transaminases Alat et Asat et gamma-GT) grâce à une prise de sang complète les analyses.
Le foie a la capacité de régénérer, contrairement au cœur qui sera très fortement diminué après une angine de poitrine, des coronaires bouchées ou un accident vasculaire cérébral. Lorsque vous êtes malade du foie, cela signifie qu’il vous protège de moins en moins bien. Mais vous risquez davantage de mourir du cœur que du foie. Avec une prise de sang, on décèle très vite un problème hépatique. C’est pour cette raison que, quand on commence à protéger son foie, d’une certaine façon, on protège comme un bouclier le reste de l’organisme.
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Absolument. Si vous avez un foie malade, comme il régénère, le mal est réversible. Et même si vous commencez à vous en préoccuper vers 55-65 ans, voire plus tard, vous allez tout de même augmenter votre espérance et votre qualité de vie.
L’alimentation méditerranéenne ou crétoise et l’alimentation qu’avaient les Japonais d’Okinawa. Elles sont caractérisées par un faible apport en aliments pro-inflammatoires tels que viande, produits ultra-transformés, sucres et laitage, et par un apport élevé en fibres, en légumes, en huiles anti-inflammatoires riches en oméga 3 et 9 (olive et colza) et en petits poissons. Elle tolère un peu d’alcool, dont la quantité exacte est difficile à définir à titre individuel. Statistiquement, dès le premier verre, vous augmentez, en termes de santé publique, le risque de cancer du sein chez la femme. Cependant, chez certains, une faible quantité d’alcool peut protéger. Côté boissons, le café et le thé sont anti-inflammatoires, antioxydants et, dès la première tasse, vous protégez le foie du cancer et de la fibrose.
Les personnes qui adoptent ces modes alimentaires sortent souvent de table en ayant encore un peu faim et laissent le sentiment de satiété venir progressivement. La richesse en légumes de ces régimes favorise un bon microbiote donc un bon foie. Il s’agit aussi de l’alimentation la moins pourvoyeuse de gaz à effet de serre. En l’adoptant, vous protégez votre foie, vos bactéries et la planète.
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Il est plus sain de manger copieusement le matin et, au fur et à mesure de la journée, de diminuer ses apports, en particulier de féculents. Je parle bien sûr d’un monde idéal car nous avons tous des contraintes sociétales. En tout cas, la chrononutrition est un paramètre important si l’on souhaite allonger son espérance de vie. Le jeûne intermittent consistant à rester une longue période (de 12 à 16 heures) sans manger est aussi positif. Il permet de limiter la sécrétion d’insuline et donc le processus inflammatoire et le stockage de sucre et de graisse.
Mon équipe de recherche travaille sur ce sujet, et le lien est très clair. La susceptibilité de développer une maladie du foie liée à la malbouffe ou à la consommation d’alcool dépend du profil de votre microbiote. Nous débutons actuellement des essais afin de savoir si, en ciblant le microbiote intestinal par des prébiotiques comme de la pectine de pomme par exemple, il est possible d’améliorer le foie des patients, voire de limiter l’envie irrépressible de consommer du sucre ou de l’alcool. Nous espérons identifier des bactéries protectrices du foie.
Le microbiote intestinal et le polymorphisme génétique diffèrent d’un individu à l’autre. On peut modifier son alimentation, mais sa génétique, c’est plus compliqué. Pour éviter que ces polymorphismes ne s’expriment, il faut soigner son alimentation. Il est vrai que chez certains individus, les erreurs seront mieux pardonnées par le foie que chez d’autres. Ces polymorphismes ne sont pas encore recherchés en pratique clinique, mais j’ai bon espoir en tant que médecin, qu’un jour, ce sera mis à profit dans le cadre d’une médecine plus personnalisée.
x 100. Comment protéger son foie pour vivre jusqu’à 100 ans, éd. Flammarion, 224 p., 19 €.