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"La longévité des Japonais a-t-elle encore un bel avenir ?", Nicolas Chauvat

Comprendre les secrets de longévité des Japonais est une quête qui emprunte les voies de la connaissance des médecines traditionnelle et moderne mais également celles de la nutrition, de la biochimie, de l’immunologie et de la culture japonaise. Installé depuis plus de dix ans au Japon, Nicolas Chauvat a su capter les habitudes des Japonais et nous révèle quelques clefs de compréhension de ce pays à bien des égards fantasmé.

Nathalie Rigoulet

Votre parcours, animé par une passion égale pour le vivant, les plantes médicinales et l’Asie, est atypique, pouvez-vous nous en parler ?

Ma jeunesse a été marquée par mon grand-père, et l’amour qu’il portait aux plantes médicinales, et l’obsession de mes parents, directeurs de recherche en microbiologie au CNRS et au CEA, pour comprendre le vivant. J’ai envisagé de leur emboîter le pas, mais ils m’en ont dissuadé, coupes budgétaires pour la recherche obligent. Alors j’ai fait Sciences Po où je me suis passionné pour les relations internationales. J’ai effectué mon premier stage en Chine, sur la Route de la soie, et j’ai ensuite bénéficié d’un échange universitaire entre mon Institut d’études politiques et l’université Doshisha à Kyoto. J’ai intégré l’ambassade de France à Tokyo où j’ai rencontré ma future épouse japonaise. Afin de rester au Japon à ses côtés, j’ai quitté le ministère des Affaires étrangères. Écriture, reprise de mes études, travail dans la communication, puis formation en biochimie, immunologie et en sciences médicales ont occupé tout mon temps. J’ai créé une société spécialisée dans les plantes médicinales au Japon et publié un grand nombre de livres où j’aime faire des liens : entre la chimie alimentaire, la cuisson des aliments et la réaction sur notre système immunitaire ; entre l’Orient et l’Occident ; entre les pratiques traditionnelles et les médecines modernes, mais aussi entre l’industrie alimentaire et le milieu médical.

Vous accordez une grande importance à l’alimentation. La malbouffe gagne-t-elle du terrain au Japon ?

Le gros problème dans l’alimentation japonaise, c’est qu’il y a des édulcorants, comme l’aspartame, absolument partout ! Dans un temps pas si ancien, les Japonais avaient une alimentation plutôt frugale. Maintenant, ils mangent bien plus et leur courbe de poids augmente, même si elle reste très inférieure à celle que l’on connaît en Europe. Les Japonais gèrent mieux que les Occidentaux les macronutriments mais ils utilisent de plus en plus d’additifs.

Le deuxième gros problème est qu’ils dorment peu. Ils ont le temps de sommeil le plus court du monde, en moyenne cinq heures et demie par nuit. Les journées de travail sont longues et le sommeil est mal vu dans la société japonaise. Avant, ils mangeaient très gras le matin et très peu le soir, aujourd’hui, ils rentrent chez eux vers 22 heures, ils ont besoin de prendre un peu de temps, mangent tard des aliments de plus en plus frits, et leur consommation d’alcool augmente sensiblement. Si je m’intéresse aux bonnes pratiques des Japonais qui ont vécu longtemps, je ne peux que constater que l’état de santé des Japonais se dégrade. L’archipel d’Okinawa, qui était mis sur un piédestal pour la longévité de ses habitants, est peut-être aujourd’hui le plus mauvais élève du Japon.

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La médecine japonaise est-elle inspirée de la médecine traditionnelle chinoise ?

La médecine traditionnelle japonaise est très portée sur l’examen clinique. On observe les patients pour anticiper les maladies avant qu’elles ne se déclarent. Je pensais, en arrivant au Japon, qu’elle était très proche de la médecine chinoise, mais ce n’est pas vraiment le cas. C’est la médecine du " en même temps ". Ils ont incorporé la médecine chinoise mais également notre médecine classique occidentale. Concernant les soins, entre les massages, la moxibustion, l’acupuncture, la diététique et la pharmacopée, la médecine traditionnelle chinoise est très diversifiée alors que la médecine traditionnelle japonaise repose essentiellement sur la pharmacopée, très importante. Avant d’être un pays de médecins, le Japon est un pays de pharmaciens. À tel titre qu’il est à l’origine de la toute première intervention chirurgicale sous anesthésie générale. C’était en 1804, pour une mastectomie [le chirurgien Hanaoka Seishu, inspiré d’un anesthésique chinois élaboré par Hua Tao au IIIe siècle de notre ère, a mis près de vingt ans pour élaborer un anesthésique à base de plantes nommé Tsusensan, NDLR].

Comment se présentent les plantes utilisées en médecine japonaise ?

Il existe encore les anciennes tisanes qui appartiennent à la médecine du peuple mais elles ne font pas partie de la médecine japonaise. En médecine japonaise, les plantes sont prescrites sous forme de poudre dosée au milligramme près. La plante la plus utilisée est la réglisse. La médecine japonaise telle qu’elle est pratiquée en milieu hospitalier utilise donc ces plantes qui, comme en médecine chinoise, sont prescrites afin de corriger les déséquilibres diagnostiqués. Ces prescriptions s’accompagnent de conseils plus globaux sur l’hygiène de vie, les changements diététiques à mettre en place, la gestion du stress, l’activité physique, etc. Lorsque le médecin prescrit ces plantes, elles sont remboursées.

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La prise en charge du patient par le médecin au Japon est-elle à l’image de celle que l’on connaît en France ?

Au Japon, la médecine est un business décomplexé. Il y a beaucoup de cliniques privées. Contrairement à la France, on peut très rapidement trouver des spécialistes. Mais je ne suis pas sûr qu’ils prennent plus de temps avec leurs patients qu’en France, et le problème majeur, c’est le manque de sommeil des médecins. Les spécialistes ont de telles charges financières mensuelles qu’ils sont obligés de bosser comme des dingues pour rentabiliser leurs investissements… Comment être en pleine possession de ses moyens en dormant trois heures par nuit ? Et comment trouver le temps de lire les nouvelles publications scientifiques pour se remettre à jour dans sa pratique ?

Vous revenez souvent dans vos livres* sur le concept japonais de " juste milieu " qui, dites-vous, " incite à se tenir éloigné des extrêmes et à privilégier la recherche de l’équilibre ". Pourriez-vous nous donner un exemple concret ?

Les Japonais traditionnellement ne faisaient pas de jeûne ni aucun régime sans viandes, sans sucres ou sans graisses… Ils mangeaient raisonnablement à chaque repas, n’en sautaient aucun et veillaient à avoir consommé une grande variété d’aliments au cours de la journée. La nutrition japonaise traditionnelle ne conseille que très rarement l’exclusion, elle se base principalement sur la modération.

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Vous semblez accorder beaucoup d’importance aux liens entre corps et esprit…

Oui, et ce qui est intéressant, c’est que l’étude du système immunitaire amène à créer des ponts entre la psyché, le corps, l’alimentation et l’hygiène de vie en général. Les connaissances en médecines chinoise et japonaise tiennent toute leur place dans ce sujet passionnant où, contrairement à la médecine occidentale où l’homme est considéré comme une tuyauterie, l’homme est là considéré de manière globale.

Quel conseil aimeriez-vous donner à nos lecteurs ?

Il est bon de manger de tout sans excès et il faut bannir les édulcorants, colorants et conservateurs. Concernant les sucres, j’ai eu l’occasion de constater que les gens font l’erreur de croire qu’à partir du moment où ils seraient naturels, comme c’est le cas avec le miel, on pourrait faire des excès. Que ce soit avec les fruits et le miel, il faut rester raisonnable dans la consommation. Le principe de la pharmacologie, c’est que " tout est poison, rien n’est poison : c’est la dose qui fait le poison ". Tous les aliments en excès sont potentiellement toxiques. Ce n’est pas parce que vous avez une alimentation naturelle et riche en vitamines que tout va bien. Dans la conception asiatique, la nature n’a pas été créée pour l’homme en tant que cadeau. Toutes les plantes ont des principes différents qui vont influer sur l’équilibre de notre corps. L’abus crée le déséquilibre. Il n’est jamais trop tard pour comprendre et se rendre compte que ses croyances sont erronées. Il est bon de se renseigner auprès de plusieurs sources pour comprendre et d’être à l’écoute de son corps. En outre, je crois qu’il est important de parvenir à donner du sens à ce qui arrive dans sa vie. Renforcer son esprit, être fort dans sa tête pour trouver les moyens de lutter, d’avancer.

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