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CBD : les fleurs de la discorde
Sous la pression de l’Union européenne, la France harmonise enfin sa législation sur le cannabidiol, cette molécule non psychotrope du cannabis. Les orientations de la nouvelle réglementation, en voie de finalisation, ont été dévoilées la semaine dernière : les produits finis à base de CBD seront autorisés, mais toujours pas la vente des fleurs. Avancée pour certains et déception pour d’autres, le futur décret divise…
CBD, trois lettres au centre d’un débat tendu depuis des mois. Le cannabidiol a bien du mal à se faire une place dans la réglementation française tant les autorités y associent encore l’image de drogue accolée au cannabis. Or la molécule cannabidiol n’est pas classée comme stupéfiant, contrairement au THC (tetrahydrocannabinol), l’autre molécule majeure du cannabis, associée à un usage dit « récréatif ».
L’Union européenne l’a d’ailleurs rappelé à la France en novembre dernier dans son « arrêt Kanavape » en jugeant de fait que l’interdiction du cannabidiol sur le sol français était illégale. La France avait alors été instamment priée d’ajuster sa réglementation, l’une des plus répressives d’Europe. Il aura fallu une mission parlementaire sur le cannabis et six mois d’entretiens avec divers ministères et acteurs du secteur pour réécrire le texte du nouveau décret.
Celui-ci prévoit, selon l’AFP qui citait les services du Premier ministre le 25 mai dernier, que « l'autorisation de culture, d'importation, d'exportation et d'utilisation industrielles et commerciales du chanvre » soit « étendue à toutes les parties de la plante », sous réserve que sa teneur en THC – la molécule psychotrope du cannabis –, ainsi que celle des produits finis, soit inférieure à 0,2 %.
Jusque-là, le texte fait l’unanimité, mais la limitation suivante jette la discorde : « la mise sur le marché de sommités florales ou de feuilles brutes à fumer ou en tisane est interdite, tout comme les produits incorporant du chanvre brut ». Une restriction aux conséquences différentes selon les acteurs et les secteurs : soignants, thérapeutes et patients, ou acteurs économiques et politiques.
CBD : la fleur peu préconisée en thérapeutique
Les professionnels de santé recommandent de plus en plus de soins naturels à base de cannabidiol, notamment pour des patients en situation d’impasse thérapeutique ou en demande d’approches plus naturelles. Même si jusque-là, ils étaient toujours sur le fil d’une législation complexe qui interdisait les produits français à base de CBD naturel. Alors que ces produits en provenance de l’étranger circulent largement. Difficile donc de s’y retrouver pour les soignants comme pour ceux qui souhaitent avoir accès à cette molécule aux propriétés relaxantes et antidouleurs de plus en plus étayées. Des études scientifiques récentes ont mis en lumière son action ou ses promesses thérapeutiques, notamment sur les maux de dos chroniques (1), l’anxiété (2), et même dans des traitements psychiatriques liés à la schizophrénie, la phobie sociale ou les troubles du spectre autistique (3).
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Les nouvelles règles régissant le marché du CBD auraient par conséquent au moins l’avantage de clarifier son usage : les consommateurs pourraient, l’esprit tranquille, utiliser des crèmes et des compléments alimentaires à base de cannabidiol made in France, mais la vente de fleurs de cannabidiol françaises en vrac ou en tisanes serait en revanche prohibée.
Pour Nadia Rasamoely, naturopathe et nutrithérapeute à Biarritz, cette limitation ne changerait pas grand-chose à sa pratique : « Je ne recommande pas les fleurs de CBD pour se soigner, car leur dosage est très difficile à maîtriser. Or, il est nécessaire d’adapter le dosage selon les situations à améliorer : douleurs, anxiété ou autres maux. » Cette praticienne de santé suit de près les études scientifiques et informations liées à cette molécule : « Pour rendre le cannabidiol vraiment actif, celui-ci doit passer par une phase de décarboxylation à plus de cent degrés. Donc l’utiliser en tisane, même avec une eau à quatre-vingts degrés, ne permet pas de bénéficier de ses pleines propriétés. »
Une prohibition paradoxale ?
Si l’interdiction de se fournir en fleurs ou tisane de CBD françaises aurait peu d’incidence sur la sphère thérapeutique du bien-être, elle pourrait poser problème en revanche à ceux qui utilisent le CBD sous forme d’inhalation, de vaporisation, ou qui fument ces fleurs pour leur action relaxante et thérapeutique. Pour justifier cette prohibition, les autorités s’appuient sur des arguments de santé et de sécurité publique. Un paradoxe et un non-sens pour Aurélien Delecroix, président du Syndicat professionnel du chanvre : « Les consommateurs continueront à importer des fleurs de l’étranger sans traçabilité au lieu de se fournir dans une filière CBD française, contrôlée et encadrée, telle que nous l’avions recommandée. » Sans compter que fumer des fleurs de CBD est, pour un certain nombre de consommateurs de cannabis, un support de sevrage du THC ou une solution de remplacement.
D’après de nombreux acteurs du secteur, ceux qui pâtiraient le plus de cette réglementation seraient les petits producteurs qui misaient sur une filière de cannabidiol hexagonale. Pour être rentables, ils comptaient sur la vente de fleurs aux détaillants (tabac-presse, CBD shops…) payée entre 400 et 500 € le kilo. Ce débouché, le décret l’interdirait en obligeant à utiliser les fleurs uniquement comme matière première de transformation, payée cent fois moins au kilo… Un projet de décret qui hypothèque donc le développement d’une filière CBD florissante avec un contrôle qualité labellisé. Sur la même ligne, plusieurs députés de la mission parlementaire sur le cannabis estiment que le cannabidiol fait encore les frais d’un amalgame avec le « cannabis récréatif » (4).
Reste que la France avance malgré tout sur l’ouverture du marché du CBD, même si elle y a été contrainte et forcée par l’Union européenne, et même si le ministère de l’Intérieur continue d’agiter le chiffon rouge du « cannabis récréatif ». On constate également que les positionnements évoluent au sein de la sphère politique, celle-ci étant consciente de son décalage avec l’opinion publique. En effet, une enquête dévoilée ces jours-ci par l’IFOP pour le site cbd-grams.com indique que « pour la première fois, une majorité de Français (51 %) se prononcent en faveur de la dépénalisation du cannabis » (5).
Sources
(1) - "Cannabidiol (CBD) as a treatment of acute and chronic back pain: A case series and literature review", mai 2020, Journal of Opioid Management
(2) - "Cannabidiol in Anxiety and Sleep: A Large Case Series" Permante Journal,
(3) - "The therapeutic role of Cannabidiol in mental health: a systematic review", Journal of Cannabis Research, 2020
(4) - Communiqué de presse : "CBD : Les premières annonces concernant l’évolution de la règlementation ne permettront PAS l’émergence et le développement d’une filière française !"
(5) Enquête IFOP sur le site cbd-grams
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