Accueil Entretiens « Les modes de naissance ont probablement des effets spécifiques sur la santé future ». Rencontre avec Michel Odent.
« Les modes de naissance ont probablement des effets spécifiques sur la santé future ». Rencontre avec Michel Odent.
Depuis plus de cinquante ans, le gynécologue et obstétricien Dr Michel Odent propose une autre vision de la maternité et de la naissance. Référence international et auteur d’une quinzaine d’ouvrages sur le sujet, il a fait évoluer les pratiques obstétricales vers une plus grande prise en compte des acquis de la science et des réalités physiologiques de l’enfant comme de la femme. Il répond ici à nos questions sur l’impact de la vie fœtale, la naissance et la petite-enfance sur la santé. Il participera avec d’autres spécialistes de la petite enfance au colloque « Un autre regard sur les besoins du bébé » à Paris le 24 novembre.
Alternative Santé - Quels sont les malentendus les plus courants sur la « période primale » ?
Michel Odent - Les malentendus les plus fréquents sont liés à l’hyperspécialisation des disciplines. La « période primale » se situe entre la conception de l’enfant et son premier anniversaire. C’est le moment pendant lequel nos systèmes d’adaptation de base (ceux impliqués dans ce que l’on appelle communément la santé) atteignent un haut degré de maturité. Des 1986, dans le livre La santé primale, j’avais anticipé une nouvelle génération d’études épidémiologiques explorant les corrélations entre ce qui se passe durant cette courte période et ce que l’on observe, plus tard, sur le plan de la santé et des traits de personnalité. L’un des effets de l’hyperspécialisation est que certains ne s’intéressent qu’à la période qui suit la naissance, et avant tout aux modes d’allaitement et aux vaccinations de la prime enfance. Mais beaucoup d’autres, particulièrement dans les milieux universitaires et médicaux, s’intéressent aux possibles conséquences à long terme de ce qui se passe pendant la vie fœtale.
On a pourtant l’impression que la période fœtale est l’objet de toutes les attentions, plus particulièrement sous l’angle du risque. Mais ce « risque pour le fœtus » n’est-il pas défini de manière trop étroite par la médecine ?
Paradoxalement, il y a toujours eu un manque relatif d’intérêt pour la période qui entoure la naissance. Pourtant, c’est cet épisode de la vie humaine qui a connu les bouleversements les plus profonds au cours des dernières décennies, et les disciplines scientifiques émergentes nous enseignent qu’il est « critique » dans le développement de l’individu. Pour comprendre comment s’organise la santé, une vue d’ensemble de la période primale est donc nécessaire.
Vous la décrivez comme le creuset de la santé du futur adulte, en particulier comme la période privilégiée de l’impact de l’environnement sur nos gènes…
Lorsque l’on s’interroge sur des maladies non-transmissibles qui ne sont pas purement génétiques, la première étape est de situer la période critique d’interaction entre gènes et environnement. Quand cela s’est-il passé ? La deuxième étape est d’identifier des facteurs de risques. Ensuite, il faut faire appel aux disciplines qui ont le pouvoir de confirmer la relation de cause à effet, telle que la bactériologie moderne (qui identifie les micro-organismes en étudiant leur matériel génétique) et l’épigénétique (qui étudie comment certains gènes sont éduqués pour ne pas s’exprimer). Ces dernières sont précieuses pour éclairer la situation.
La base de données scientifiques que vous avez mise en place a permis d’identifier d’énormes chantiers d’analyse. Par exemple, l’impact de la période primale d’une personne sur sa sphère psychologique future (liens avec les addictions, les troubles du comportement alimentaire et les troubles du spectre autistique…). Sur quoi portent les travaux actuels ?
On perçoit un intérêt grandissant pour des pathologies de plus en plus répandues, notamment des dérégulations du système immunitaire, telles les allergies et les maladies auto-immunes. C’est le cas aussi des obésités.
Quels impacts ont eu la modification de l’environnement du nouveau-né et l’avènement de la naissance médicalisée ? Vous évoquez notamment les conséquences de l’asepsie à l’hôpital ou le recours important à la césarienne…
Ce sont des questions énormes, qui nécessiteraient de longs développements. L’un des premiers effets des changements récents est de rendre nécessaires de nouvelles classifications des modes de naissance pour bien prendre la mesure de leur impact. Ainsi, sur les plans bactériologiques et immunologiques, il convient d’opposer la naissance à la maison (au milieu d’une grande diversité de micro-organismes amicaux, parce que familiers) et la naissance ailleurs. Ces deux modes de naissance ont probablement des effets spécifiques sur la santé future dont on commence à peine à prendre la mesure. En ce qui concerne l’exposition aux hormones de stress qui participent au développement du bébé, il convient d’opposer la naissance par césarienne avant le début du travail et toutes les autres formes de naissance (y compris les césariennes en cours de travail).
Quels sont les avantages et les risques de l’ocytocine synthétique pour déclencher ou accélérer les accouchements ?
On sait que l’ocytocine synthétique administrée à la femme enceinte pour déclencher ou renforcer les contractions utérines traverse le placenta et la barrière hémato-encéphalique immature du fœtus. En d’autres termes, puisque l’ocytocine ne coute pas cher et est très utilisée aussi dans les pays en voie de développement, une proportion énorme de cerveaux humains se retrouve aujourd’hui soumise à des concentrations élevées d’ocytocine à une phase critique de leur développement. Pour autant et paradoxalement, les effets à long terme de cette situation ne font pas l’objet de recherches, à part quelques études sur les liens entre autisme et ocytocine synthétique.
La médicalisation de l’accouchement, valorisée pour la réduction des risques qu’elle permet en cas d’urgence médicale, induit donc ses propres risques ?
La médicalisation de l’accouchement a pris de l’ampleur pour compenser l’incompréhension culturelle des processus physiologiques. Bien entendu, toute action médicale a des effets secondaires. Par exemple, nous avons atteint une phase dans l’histoire de l’humanité où la libération d’« hormones de l’amour » (l’ocytocine produite lors d’un accouchement) n’est plus nécessaire, à l’échelle mondiale, pour faire naître les bébés et les placentas. Les « effets secondaires » que cela implique sur plusieurs générations - les femmes continueront-elles d’en produire naturellement par exemple ? - sont pris au sérieux par ceux qui commencent à s’intéresser à l’avenir de notre espèce.
Comment limiter ces risques quand l’on n’est pas en capacité ou que l’on ne souhaite pas accoucher à la maison ?
Il est très facile et très fréquent, sans même le savoir, de perturber un accouchement. La priorité est d’oser penser comme les physiologistes, c’est-à-dire d’assimiler et de divulguer le concept d’« inhibition néocorticale », thème principal et raison d’être de tous mes livres depuis une quarantaine d’années. C’est la meilleure façon de redécouvrir les besoins de base de la femme qui accouche. Ce concept est une clé pour comprendre la nature humaine en général, et certains processus physiologiques, tel l’accouchement, en particulier. Ainsi, on ne peut pas « aider » une femme à accoucher, mais on peut essayer de la protéger contre tout ce qui pourrait stimuler son cerveau « rationnel » : langage, lumière et tout ce qui demande de l’attention. C’est une nouvelle façon de penser. Il est difficile de remettre en cause des millénaires de conditionnement culturel, mais la physiologie moderne doit consister à se demander comment et dans quelle mesure on peut « désocialiser » l’accouchement.
Dans votre ouvrage La naissance d’homo, vous en appelez à une « révolution symbiotique ». Quelles sont les frontières à explorer ou réexplorer autour de la naissance ?
Cela devrait devenir la question centrale. Le terme « symbiotique » fait référence à la crise spectaculaire que l’humanité a traversée lors de la « révolution » du néolithique, caractérisée par la domestication des plantes, des animaux et, dans une certaine mesure, des êtres humains. Personne n’avait imaginé, jusqu’au vingtième siècle, que la domination de la nature pourrait soudain atteindre ses limites. Nous devons nous préparer à une crise, à accompagner une nouvelle révolution dans l’histoire de l’humanité, et même dans l’histoire de la planète. Afin de qualifier cette révolution, nous avons besoin d’un mot-clé perçu comme l’antithèse du mot « domination » (de la nature). L’un de ceux-ci pourrait être « symbiose ». Jusqu’à aujourd’hui, la façon habituelle de penser avait tendance à mettre l’accent sur la compétition entre êtres vivants. Nous devons soudain nous familiariser avec des concepts tels que coopération et équilibre écologique. Une nouvelle façon de penser conduit à réaliser que les micro-organismes représentent les fondations de tous les écosystèmes. Cela implique que la récente révolution dans les conditions de la naissance des humains soit étudiée dans une perspective bactériologique.
Aller plus loin :
Le bébé est un mammifère, éditions l'Instant Présent, 2014
La Naissance d' Homo, le chimpanzé marin, Myriadis, 2017
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