Accueil Polémiques Cantines scolaires : moins de viande, moins de service public, plus de malbouffe ?
Cantines scolaires : moins de viande, moins de service public, plus de malbouffe ?
De plus en plus encadrés par des recommandations nutritionnelles précises et des contraintes sanitaires strictes, les repas servis à l’école sont aujourd’hui investis d’objectifs de plus en plus ambitieux en matière de santé. Pas encore obligatoires ou généralisées à ce jour, de nouvelles règles ont été mises en place en 2019, faisant notamment une plus grande place aux repas végétariens. Après une immersion de trois semaines au sein d’une cantine scolaire des Yvelines, la nutrithérapeute Maria Fornell décrit un envers du décor pas toujours aligné avec les promesses.
Hautement réglementée, la restauration scolaire est soumise à de nombreux enjeux : apport énergétique et nutritionnel adéquat aux enfants bien entendu, mais également éducation nutritionnelle, lutte contre l’obésité et les maladies métaboliques chroniques, absence d’intoxications alimentaires, baisse du gaspillage alimentaire, renforcement du lien social… Tout ça en offrant un moment de convivialité aux enfants au milieu de leur journée d’apprentissage. Pas évident ! En France, un enfant sur deux – soit environ 7 millions d’enfants – déjeune à la cantine tous les jours. Ce sont donc 35 milliards de repas par an qui sont servis aux enfants, et pour certains, c’est le seul repas chaud de la journée. La cantine scolaire est-elle à la hauteur de tous ces enjeux ? Qu’y a-t-il réellement dans les assiettes de nos enfants ? Plongée dans le monde des cantines scolaires.
La restauration scolaire constitue un des premiers services publics locaux. La responsabilité de son organisation relève de la commune pour les écoles primaires, et du département pour les collèges et les lycées. Dans le but d’« harmoniser » la gestion des restaurations collectives, certains départements ont sous-traité ce service à de gros acteurs de la restauration collective, tels que Sodexo ou Elior. Certains départements ont même créé des sociétés d’économie mixte à opération unique (ou SEMOP) dans lesquelles ils prennent une part importante du capital. Mais est-ce un pas dans la bonne direction concernant la qualité des repas de nos enfants ? Et peut-on véritablement combiner la rentabilité et la nutrition santé ? Enfin, ces repas répondent-ils aux objectifs fixés par le Programme national nutrition santé (PNNS) lancé en grande pompe et présenté comme une priorité absolue en 2019 par le gouvernement actuel ? En effet, le PNNS 4 s’affiche comme une véritable stratégie nationale afin de promouvoir une alimentation durable et saine pour lutter contre l’obésité chez les enfants et les adolescents qui, pour rappel, a fortement augmenté en France. En effet, près de la moitié des adultes et 17 % des enfants sur notre territoire sont en surpoids ou obèses.
Quand végétarien rime avec faible qualité
Dans le but de rendre notre alimentation plus durable et dans le cadre du PNNS, le gouvernement a voté la loi EGalim qui est entrée en vigueur le 1 er janvier 2020. Cette loi stipule, entre autres choses, que tous les restaurants scolaires doivent proposer au moins un repas végétarien par semaine. Elle précise aussi que les repas servis en restauration collective devront compter au minimum 50 % de produits de qualité et durables, avec au moins 20 % de produits d’origine biologique. Cette loi a été lancée sous forme d’expérimentation pendant deux ans avant son entrée en vigueur définitive et de façon obligatoire. Toutes les communes n’ont d’ailleurs pas joué le jeu, avec des repas végétariens servis dans « seulement » 63 % des collectivités d’après un rapport du Conseil général de l’alimentation, de l’agriculture et des espaces ruraux (CGAAER) rendu public le 15 juin dernier (1).
Or plusieurs acteurs des cantines scolaires ont vite compris qu'afin d'optimiser leur budget, le choix végétarien s'avérait très lucratif car beaucoup moins cher que les denrées alimentaires protidiques d’origine animale. En conséquence, des repas végétariens sont proposés plusieurs fois par semaine aux enfants. Oui mais voilà : alors que le PNNS préconise de réduire la consommation de produits ultratransformés, ces « options végétariennes » le sont très souvent, à l’instar des fréquemment servis nuggets de blé, galettes au fromage ou aux graines. Autre avantage de taille pour les acteurs de la restauration collective : ces produits demandent moins de main d’œuvre et moins de cuisine sur place.
Rappelons que les périodes de grande croissance (l’enfance et l’adolescence) nécessitent un apport élevé en protéines pour la formation de nouveaux tissus dans le corps. Idem pour le calcium et le fer qu’on trouve notamment dans les protéines animales. Or ces dernières ont une plus grande digestibilité et efficacité nutritionnelle (c’est-à-dire une plus haute teneur en acides aminés essentiels et indispensables) que les protéines végétales. De plus, de nombreux pédiatres en France préconisent dorénavant des dîners sans protéines pour les enfants, une règle à laquelle beaucoup de parents adhèrent. Le végétarisme s’invite donc parfois à nombre de nos repas et peut être certes bénéfique. Mais d’une part cela oblige les parents à avoir une bonne connaissance de la composition en micro- et macronutriments des protéines végétales, ce qui est loin d’être la norme. D'autre part, cela invite à une certaine vigilance quant à la composition des menus, afin d’éviter des carences pour cette population « fragile » et en pleine croissance (2).
En 2018, c’est-à-dire avant l’entrée en vigueur de la loi EGalim, des chercheurs avaient analysé la composition des repas des cantines scolaires pour évaluer leur respect des besoins nutritionnels des enfants (3). Ils concluaient à un bon équilibre nutritionnel dans l’ensemble, mais alertaient déjà sur l’impact possible de la généralisation des repas végétariens (sans viande ou poisson) sur cet équilibre, et la nécessité de bien définir à la fois la composition et la fréquence des plats végétariens.
Si toutes les communes n’ont pas suivi l’expérimentation proposée par la loi EGalim, c’est lié à la fois à leur réticence due à un manque de culture en matière de nutrition, notamment végétale, et à des problématiques d’organisation (définition du menu végétarien, formation du personnel, réorganisation, effort supplémentaire demandé, contexte sanitaire actuel...). En effet, le personnel dans les cantines n’a tout simplement pas les connaissances en nutrition adéquates pour bien composer ces menus végétariens. Je dirais même que la loi peut avoir des effets pervers, car même dans les cas où les menus sont établis par un(e) professionnel(le) de la nutrition, comme chez Sodexo, les enjeux et la volonté de montrer qu’ils respectent la loi peuvent primer sur la qualité et la composition des repas. Une évaluation de l’Anses (Agence nationale de sécurité sanitaire de l’alimentation, de l’environnement et du travail) sur le sujet est d’ailleurs en cours, avec un rendu d’avis prévu pour septembre 2021.
Des recommandations qui semblent peu respectées
La restauration scolaire est supposée suivre les recommandations du GEMRCN (Groupement d’étude des marchés en restauration collective et de nutrition) pour lutter contre l’obésité et éduquer à une bonne alimentation selon les indications du PNNS. Les objectifs principaux sont louables : augmenter la consommation de fruits et légumes, diminuer les apports lipidiques et les apports en sel, rééquilibrer la consommation d’acides gras pour favoriser des graisses plus saines, diminuer la consommation de glucides simples ajoutés et augmenter les apports en fer et en calcium. Un menu classique dans une cantine scolaire est composé d’une entrée, d’un plat chaud, d’un produit laitier et d’un dessert. Le problème, c’est que ni ces recommandations ni celles de l’Anses ne sont vraiment respectées, et qu’elles sont facilement détournées.
Concernant d’abord les sucres ajoutés : l’Anses considère que l’apport total en énergie provenant de ces sucres ne doit pas dépasser 10 %, ce qui, pour la plupart des enfants, est déjà consommé au petit déjeuner et au goûter. Si la restauration scolaire propose un produit laitier sous forme de yaourt aromatisé au sucre ou aux fruits qui contient 10 à 15 % de sucres ajoutés (ce qui est aujourd’hui le cas dans certains départements), suivi d’un dessert sous forme de gâteau industriel, ce ratio est vite dépassé. En effet, les fruits frais sont peu servis dans les cantines en raison de leur coût supérieur à celui des desserts lactés ou des gâteaux industriels, mais également car ils demandent un traitement sanitaire plus contraignant, avec un lavage obligatoire à l’hypochlorite de sodium (composant de l’eau de javel), surtout en période de Covid. À cela s’ajoute le pain blanc, et souvent des féculents (pâtes/semoule/riz), ce qui ne constitue en aucun cas un repas équilibré, ni en macronutriments ni en micronutriments. Le pain, à la fois riche en sucre et en sel, est certes biologique de temps en temps, mais jamais à base de blé complet comme indiqué dans les recommandations.
Pour ce qui est des acides gras, ou matières grasses, la science a depuis longtemps démontré qu’il ne s’agit pas de manger moins gras, mais « mieux gras », l’important étant surtout d’éviter les graisses hydrogénées, ou trans, que l’on sait facteurs d’augmentation des plaques d’athérome dans les artères, de l’inflammation, des lésions neurodégénératives et des cancers. On sait également que les bonnes graisses sont essentielles, notamment pour la structure cérébrale, d’autant plus pendant l’enfance et l’adolescence lorsque le cerveau est en plein développement. Or, certaines entreprises privées de la restauration collective et scolaire ont fait concevoir des graisses hydrogénées multiusage très bon marché qui sont utilisées dans tous les plats, alors que l’Anses recommande une proportion maximum de ces huiles inférieure à 2 %.
Ainsi, dans la plupart des établissements, les frites sont servies tous les quinze jours, mais si l’on compte aussi les nuggets de blé ou d’autres produits frits tels que les galettes de fromage (qui se substituent aux plats protidiques traditionnels) cela fait bien plus de graisses hydrogénées que les recommandations.
Bas coût et bonne nutrition sont-ils compatibles ?
La nutrition santé ne nécessite pas forcément un grand budget. Jamie Oliver, alias le « chef nu », l’a déjà démontré dans les cantines scolaires anglaises au début des années 2000. Mais il faut de la volonté et du bon sens, ce qui passe nécessairement par l’utilisation de produits locaux et des repas pourquoi pas végétariens, mais intelligemment composés. Le problème intervient quand la gestion de la restauration scolaire est sous-traitée à de grands groupes cotés en bourse dont le but principal est toujours la réalisation d’un bénéfice, et où les gestionnaires sont récompensés lorsqu’ils maintiennent des budgets très serrés pour minimiser le coût des repas par enfant par jour. Quand chaque centime est compté et que la quantité prime devant la qualité, certains services devraient rester dans le domaine public afin de protéger les populations les plus fragiles.
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Sources :
(1) « Évaluation de l’expérimentation du menu végétarien hebdomadaire en restauration collective scolaire », rapport du CGAAER n° 20068, 15 juin 2021.
(2) « Growth, body composition, and cardiovascular and nutritional risk of 5- to 10-y-old children consuming vegetarian, vegan, or omnivore diets», The American Journal of Clinical Nutrition, Juin 2021
(3) « Nutritional Quality of School Meals in France: Impact of Guidelines and the Role of Protein Dishes », Nutrients, 2018.
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