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Covid : quand des chiffres qui se révèlent trompeurs ou faux dictent nos choix

« On peut débattre de tout, sauf des chiffres. Aujourd’hui, en France, 8 personnes sur 10 hospitalisées à cause du Covid ne sont pas vaccinées. » Ce slogan a été brandi avec force par le gouvernement français à l’été 2021 durant sa campagne de communication vaccinale anti-Covid. Repris de manière virale sur les réseaux sociaux, par nos ministres et dans la plupart des médias, il questionne sur la façon dont les choix politiques peuvent être modelés par des arguments d’autorité fondés sur la « science » ou les « chiffres » qui font passer tous ceux qui les questionnent pour d’indécrottables complotistes.

La rédaction

Pourtant, de nombreux acteurs qui n’ont rien de « complotistes » ont pu démontrer, preuve à l’appui, que certains des chiffres clefs avancés comme arguments massue durant cette crise étaient bien trop bancals pour clore le débat.

Alors que les discours sur une cinquième vague en route prennent de l’ampleur dans les médias, que la récitation rituelle des indicateurs reprend avec force (nombre de contaminations, taux d’incidence, nombre d’hospitalisation, etc.) pour justifier de nouvelles mesures sanitaires contraignantes, retour sur quelques-uns des chiffres problématiques utilisés jusqu’ici pour justifier des mesures contraignantes pour la population.

"Réanimation" ou "soins critiques", le détail qui change tout

Par exemple, le taux d’occupation des lits en réanimation a été un indicateur très utilisé par le gouvernement pour justifier un second confinement. Pourtant, il a été démontré par la suite qu’il était extrêmement peu fiable puisqu’il incluait l’ensemble des patients en état « critique » répartis en réalité entre trois services : les soins intensifs, les soins continus et le service de réanimation. Or, cette approximation peut gonfler les taux d’occupation réels des services de réanimation en les faisant passer du simple au double. C’est notamment en raison de cette approximation statistique que certains services de réanimation étaient annoncés comme saturés à plus de 100 %.

Bien que la surcharge de certains services de réanimation ne fît aucun doute – sachant que ces derniers sont, de toute façon, chroniquement en sous-effectif et insuffisamment équipés pour pouvoir réellement accueillir au maximum de leur capacité –, il n’en reste pas moins que de lourdes décisions politiques ayant des conséquences sur l’ensemble de la vie du pays se sont, entre autres choses, basées sur cet indicateur qui s’est avéré trompeur.

Pousser à la vaccination sur la base de statistiques très imprécises

Rebelote à l’été 2021, durant la campagne vaccinale lancée avec pour argument phare le slogan : « 8 personnes sur 10 hospitalisées à cause du Covid ne sont pas vaccinées ». Non seulement nous savions par avance que ce chiffre serait amené à changer pour de basiques raisons d’arithmétique (plus il y a de Français vaccinés, plus la proportion de vaccinés augmente automatiquement dans la population des personnes hospitalisées), mais il s’est, en plus, révélé faux.

En effet, à la fin octobre 2021, la DREES (la direction de la recherche, des études, de l'évaluation et des statistiques), le service statistique public charge de la plupart des statistiques reprises par les autorités sanitaires, qu’elle reconnaît imparfaite, et le célèbre « 8 personnes sur 10 hospitalisées à cause du Covid ne sont pas vaccinées » est devenu, à la fin octobre, « 6 personnes sur 10 hospitalisées à cause du Covid ne sont pas vaccinées » (NDLR : il y a toutefois actuellement environ neuf fois plus d’entrées en soins critiques parmi les non-vaccinés que parmi les complètement vaccinés à en croire la note du 15 novembre dernier de la DREES).

Ainsi, le chiffre choc sur lequel reposait la campagne vaccinale estivale, repris en chœur par nos ministres et les médias, se basait sur une simple « note » de la DREES (ce qui est bien différent d’une « étude » à la méthodologie solide). Cette note précisait pourtant d’emblée, noir sur blanc, qu’il ne s’agissait que de « résultats agrégés » qui ne pouvaient servir de base fiable pour « estimer précisément l’efficacité vaccinale ». En effet, ce chiffre résultait de la compilation de données issues de trois bases de données distinctes qui n’étaient parfois pas correctement mises à jour et qui ne disposaient pas toujours de toutes les informations pour assurer des statistiques fiables. Par exemple, lorsque des patients hospitalisés testés positifs n’étaient pas retrouvés dans la base de données qui recense les personnes vaccinées, ceux-ci étaient « par défaut considérés comme des personnes non vaccinées ».

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Quand l’organisme chargé de la statistique se fait reprendre par des citoyens vigilants

Autre couac mémorable de la DREES : lorsqu’elle a cherché à mesurer l’impact du variant delta sur le nombre de décès liés au Covid en France, elle a omis de préciser un paramètre important de son calcul, laissant croire qu’il y avait eu deux fois moins de décès sur la période.

En effet, pour cette analyse, la DREES a produit, le 30 juillet, une note dans laquelle est indiqué noir sur blanc dans un tableau que 926 décès « sont survenus [en milieu hospitalier] entre le 31 mai et le 11 juillet 2021 en France » chez les personnes ayant un test PCR positif. Ce chiffre ne compte en réalité que les décès survenus chez les patients entrés à l’hôpital après le 15 mai. Jusque-là, tout est logique puisque le 15 mai est la date approximative d’apparition du variant delta et que l’on cherche à observer son impact. Seul problème, la DREES ne précise à aucun moment dans sa note que ce chiffre n’inclut que les décès des patients entrés à l’hôpital après le 15 mai (et non l’ensemble des patients décédés du Covid à l’hôpital sur la période). Résultat : elle omet dans son calcul toutes les personnes décédées du Covid entrées à l’hôpital avant cette date, soit pas moins de 954 patients supplémentaires.

En réalité, 1 880 personnes sont donc décédées du Covid dans les hôpitaux français sur cette période, et la DREES aurait dû préciser très clairement dans son document que le nombre de décès indiqués ne prenait en compte que les patients admis après le 15 mai. Par suite du signalement d’internautes s’étonnant de cet écart, l’organisme publiera un addendum le 10 septembre pour expliquer que c’est son « choix méthodologique » (de ne compter que les patients admis à l’hôpital après le 15 mai) qui lui a fait omettre 50 % des décès réels sur la période.

Alors que ses statistiques sont destinées à être massivement relayées et à servir d’argumentaire pour des décisions majeures de santé publique, à aucun moment l’organisme ne reconnaîtra ni ne s’excusera pour son erreur. Cet exemple illustre à quel point des erreurs de chiffres peuvent être faites depuis le début de la crise, dans un sens comme dans l’autre, et se glisser dans les notes d’organismes aussi prestigieux et influents que la DREES.

De simples « notes statistiques » brandies comme de très sérieuses « études scientifiques »

La DREES rappelle d’ailleurs elle-même sur son interface de statistiques liées au Covid que ces dernières sont là pour « éclairer » les « acteurs de la gestion de crise » sur trois thématiques précises que sont le dépistage, les hospitalisations et la vaccination. Elle a déjà rappelé à plusieurs reprises, comme dans sa note du 13 juillet, « qu’il n’est pas possible d’estimer précisément l’efficacité vaccinale via de simples statistiques descriptives » comme celles qu’elle produit et que « les estimations produites par Santé publique France » sont sur ce point « à coup sûr plus précises ».

Cela n’a pas empêché récemment un membre du gouvernement, et pas n’importe lequel, son porte-parole Gabriel Attal, de réutiliser ces données pour répondre précisément à une question…concernant l’efficacité vaccinale ! En conférence de presse à l’Élysée, le 24 novembre dernier, il a déclaré très solennellement : « une étude de la DREES atteste qu’il y a neuf fois moins de risque de développer une forme grave de Covid avec le vaccin. Moi, je me fie aux études scientifiques qui sont remises ».

En réalité, cette « étude » qu’évoque Gabriel Atal et qui paraît très sérieuse de prime abord n’est qu’une « note » issue des bases statistiques de la DREES, avec les limites qu’on lui connaît et qu’elle reconnaît elle-même. Rappelons-le, à toutes fins utiles, en science, une étude clinique qui compare deux groupes de patients ou une étude épidémiologique qui observe en population réelle l’efficacité d’un vaccin sont d’un niveau de preuves bien supérieurs qu’un simple rapport statistique. Il est étonnant qu’après plus d’un an de crise, le porte-parole du gouvernement les brandissent encore comme des arguments scientifiques d’autorité.

Vaccin : des campagnes lancées sur la base de pourcentages d’efficacité fragiles et opaques

Côté vaccin, même problème lorsque des chiffres (pas toujours solides) ont été assénés avec autorité pour justifier des mesures liberticides, sans discussion aucune, au nom du pragmatisme et de la nécessaire lutte contre le virus.

Cette problématique s’est illustrée dès les premiers essais des vaccins anti-Covid. Comme nous vous l’avions annoncé début 2021 dans notre enquête en plusieurs volets sur les vaccins anti-Covid, non seulement ces essais cliniques étaient publiés par des industriels forcément en conflit d’intérêts, mais ils l’étaient de manière opaque, sans publication intégrale et publique des données permettant à des organismes indépendants extérieurs d’en vérifier la solidité.

Ainsi, des industriels comme Pfizer annonçaient fièrement par communiqué de presse une efficacité de 95 % de leur vaccin (empochant au passage des millions de dollars à la suite de l’affolement des cours en Bourse) alors que seuls quelques membres des autorités européennes avaient pu accéder à l’intégralité des données pour en juger la solidité avant l’autorisation de mise sur le marché. Pourtant, à ce moment-là, certains éminents spécialistes pointaient déjà du doigt la fragilité de certaines études qui comportaient des biais méthodologiques pouvant grandement modifier le pourcentage réel d’efficacité desdits vaccins. Peter Doshi, rédacteur en chef adjoint du célèbre British Medical Journal, avait par exemple remis en question, début janvier, les données des essais cliniques sur les vaccins fournies par les industriels lors des demandes d’approbation et concluait : « Même après élimination des cas survenus dans les sept jours suivant la vaccination [NDLR : les personnes ayant pu être contaminées avant l’injection], l'efficacité du vaccin reste faible : 29 % [au lieu des 95 % annoncés]. »

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Des chiffres faussement impressionnants qui ne disent rien du risque réel encouru

Autre point central pour comprendre notre fétichisation périlleuse des chiffres dont on ne pourrait « pas discuter » : depuis le début de la pandémie, les pourcentages d’efficacité de ces vaccins sont exprimés en risques relatifs, ce qui a tendance à gonfler ou exagérer l’impression d’efficacité, car cela ne dit rien du risque de base, mieux exprimé par la notion de « risque absolu » connue des scientifiques mais bien moins du grand public. Cette dernière exprime bien mieux les risques réels encourus par le Covid-19 en replaçant le taux d’efficacité dans son contexte, c’est-à-dire en prenant en compte le risque réel selon l’âge ou l’état de santé notamment.

Par exemple, le vaccin Pfizer avait été initialement annoncé comme efficace à 95 % en risques relatifs et largement présenté dans les médias sous cette forme : « ce vaccin protège à 95 % du coronavirus ». Or, ce que ce chiffre ne remettait pas en perspective, c’était le risque initial de contracter le Covid qui change totalement la vision de ce fameux « 95 % ». Dans l’étude Pfizer en question, 0,88 % des patients non vaccinés ont contracté le Covid contre 0,04 % des vaccinés, ce qui montre que le vaccin permet effectivement une baisse de 95 % du risque initial. Ainsi, si l’on avait annoncé au grand public : « ce vaccin fait passer de 0,88 à 0,04 % votre risque d’attraper le Covid », l’argument phare de la campagne vaccinale aurait semblé moins persuasif. Par la mise en avant du risque relatif, on a donc fait le choix de la dramatisation au détriment de la clarté.

« Une tactique délibérée pour manipuler ou persuader les gens »

Dès avril 2021, un éditorial publié dans The Lancet avait dénoncé cette façon de présenter des chiffres donnant une très forte impression d’efficacité des vaccins anti-Covid au grand public. Pour Gerd Gigerenzer, directeur du Harding Center for Risk Literacy à l'Institut de recherche Max Planck à Berlin (dont le but est d’aider le grand public « à comprendre et à évaluer les risques auxquels il est confronté »), s’exprimer ainsi en risque relatif et non en risque absolu est une façon de faire que l’on peut considérer comme « une tactique délibérée pour manipuler ou persuader les gens ».

Ces quelques exemples suffisent à illustrer à quel point les « chiffres », brandis comme arguments absolus depuis le début de la pandémie, sont en réalité tout à fait discutables, notamment car ils sont produits par des êtres humains toujours faillibles et parfois en conflit d’intérêts. Le choix d’un indicateur plutôt que d’un autre peut également, parfois, être déterminé par des critères subjectifs ou des visées politiques.

Les indicateurs ne devraient-ils donc pas rester ce qu’ils sont ? C’est-à-dire… des indicateurs. De même, au vu du nombre d’incertitudes liées à ce virus, ils peuvent parfois ne refléter qu’une partie de la vérité à un instant T, et non prétendre à décrire une réalité globale et définitive qui nous exonèrerait de tout débat citoyen. Ils devraient, au minimum, être maniés avec prudence et humilité plutôt que brandis avec assurance et autorité.

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Sources :

"Safety and Efficacy of the BNT162b2 mRNA Covid-19 Vaccine", The new england journal of medicine, 31 décembre 2020.

"Exploitation des appariements entre les bases SI-VIC, SI-DEP et VAC-SI : des données pour la période du 20 septembre au 17 octobre 2021 à partir d’une nouvelle méthodologie", Drees.solidarites-sante.gouv.fr, 29 octobre 2021.

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