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Du rififi dans les AMM !

Depuis six mois, les agences du médicament de tous les pays d’Europe savent que quelque 400 médicaments génériques pourraient poser problème. Les fabricants de ces médicaments ont délégué à une « organisation de recherche clinique contractuelle »(CRO) indienne la production des données nécessaires à l’obtention de leur autorisation de mise sur le marché… mais ils n’en ont pas contrôlé la validité. Et ces données douteuses remettent en question, une fois de plus, la fiabilité des évaluations cliniques…

Clara Delpas

Un vieux proverbe a beau dire qu’on n’est jamais si bien servi que par soi-même, les entreprises adorent pratiquer l’externalisation de leurs services. Saviez-vous par exemple que deux tiers des compagnies pharmaceutiques n’ont pas les capacités structurelles ou humaines de mener à bien leurs recherches cliniques? Elles délèguent cette tâche à des laboratoires indépendants, désignés sous une très officielle qualification d’« organisation de recherche clinique contractuelle » (CRO)… Mais cette stratégie a des limites, comme viennent de l’expérimenter à leurs dépens les fabricants de quelques 400 médicaments génériques, tels que Teva, Biogaran, Arrow ou Baxter!

CRO suspecte

L’histoire démarre en Espagne début 2023, lors d’une séance d’inspection visant à autoriser des génériques sur le marché. L’Agence espagnole des médicaments et des produits de santé (Aemps) est saisie de "doutes sérieux" en examinant les résultats des études de bioéquivalence soumis par une trentaine d'entreprises pharmaceutiques. Un étude de bioéquivalence est là pour démontrer que la copie (moins chère) fonctionne en tout point comme le médicament original. Ce sont des études de bioéquivalence mal ficelées qui avaient par exemple été à l’origine du scandale du « Levothyrox nouvelle formule » du laboratoire Merck en 2019, et qui vaudra à l'ANSM d'être mise en examen.

Donc une trentaine de laboratoires ont confié leurs études à Synapse Lab, une CRO indienne. (Il existe 9 CRO en Inde, pour un marché d’environ 1 milliard de dollars, sur les plus de 80 milliards que représentent les centaines de CRO dans le monde) (1).

Comme le note le régulateur espagnol, « l’inspection des bonnes pratiques cliniques a révélé des irrégularités dans les données, des défaillances dans la documentation et les syst èmes informatiques, ainsi que dans les procédures de traitement des données de l’étude ». En juillet 2023, l’Aemps saisit donc l’Agence européenne du Médicament (EMA). qui réexamine alors 1 800 médicaments génériques. Son bilan arrive fin décembre, sous forme d’une liste de plus de 400 médicaments à revoir…

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Silence à l’Ansm

Cinq mois passent… Dans un courrier daté du 24 mai 2024, l’instance européenne donne à toutes les Agences nationales du médicament un mois pour réagir et suspendre ces génériques mal évalués (2). Au 24 juin, date de rédaction de cet article, force est de constater que notre Agence française (Ansm) est restée bien silencieuse. Elle n’a d’ailleurs même pas daigné nous répondre pour préciser le planning des opérations. Son service de presse nous a juste signalé que les discussions n’avaient effectivement « pas encore toutes eu lieu » .

En France, pas moins de 72 génériques sont concernés, parmi lesquels des antidiabétiques, des antiviraux, des anticancéreux, des antiépileptiques ou encore des antalgiques. Ces médicaments, qui permettent à l’assurance maladie de réaliser des économies, ne devraient pas tous être enlevés du marché. Ils peuvent y être maintenus, si de nouvelles données d’évaluation plus concluantes sont apportées par les laboratoires, ou s’il n’y a aucune solution de remplacement (ils bénéficient alors d’un « sursis » de 2 ans). Par ailleurs, l’EMA a bien insisté sur le fait qu’aucun d’entre eux n’a montré à ce jour la moindre nocivité.

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Des filets de sécurité...aux mailles larges

Pourtant, que ces études de bioéquivalence n’aient pas été concluantes questionne, plus largement, la responsabilité prépondérante des laboratoires dans l’évaluation de leurs propres médicaments et la tendance généralisée à la sous-traitance, qui concerne également l’organisation des recherches cliniques ou le traitement des données de pharmacovigilance. Nous avions abordé le problème à propos de l’essai du vaccin Pfizer contre le covid par exemple, confié à l’entreprise Ventavia Research Group et entaché d’irrégularité comme l’a monté une enquête du British Medical Journal .... Les chercheurs de Synapse Labs, comme le rappelle le site internet de l’entreprise, ont mené divers essais cliniques de médicaments contre le covid 19 et même un essai de vaccination sur 12 000 patients ! Mais… quand le sage montre le labo… le fou préfèrerait-il montrer la CRO ?

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