Élise Kuntzelmann
Le Covid est le dernier exemple en date de ce phénomène : les victimes de ce virus sont beaucoup plus nombreuses dans les villes des pays du Nord que parmi les populations rurales africaines et asiatiques. Ces dernières présentent, en effet, moins de facteurs de comorbidité du Covid ainsi qu’un système immunitaire moins affaibli. " Et je crois que nous ne l’avons pas encore réellement compris, alerte la journaliste et réalisatrice Marie-Monique Robin. Il est incroyable de voir à quel point cette biodiversité, largement sous-estimée et envers laquelle nous adoptons souvent un comportement un peu romantique – dans le sens où nous nous attendrissons devant l’extinction des pandas –, est véritablement le pilier de la santé. "
Lorsque l’on détruit des écosystèmes dans les zones tropicales, c’est au final très loin de nos préoccupations d’Européens. Faute d’en avoir assez côtoyé depuis la petite enfance, si des virus issus de ces zones émergent et migrent jusqu’à nous, nous y serons cependant plus vulnérables. Dans ce contexte, préserver la biodiversité est un véritable outil de santé publique. Et cela commence par les microbes.
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"Au-delà du monde visible, il y a un monde invisible, qui est celui des micro-organismes, sans lesquels la vie serait impossible", rappelle Marie-Monique Robin dans Vive les microbes ! "Les huit millions d’espèces animales et végétales recensées ne représentent qu’une minuscule goutte face à l’océan des microbes, dont le nombre est estimé à un quintillion, c’est-à-dire un 1 suivi de trente 0. " Or ces microbes ont mauvaise presse. Ce qui est dommage, car seule une infime minorité d’entre eux peut être dangereuse pour la santé. Les microbes sont à l’origine de la vie. Il nous faut cohabiter avec eux si nous ne voulons pas voir apparaître d’autres maladies, d’origine virale ou allergique.
Marie-Monique Robin : " Depuis les années 1960, la fréquence des maladies dites “atopiques”, telles allergies aux pollens, asthme, eczéma ou allergies alimentaires, a énormément augmenté : il y a cinquante ans, 5 % de la population en souffraient, aujourd’hui, c’est plus de 35 %. D’après les projections de l’Organisation mondiale de la santé (OMS), ce taux pourrait atteindre 50 % de la population d’ici à 2050. S’agissant des allergies alimentaires, rares dans les années 1950, la liste des allergènes n’a cessé de s’allonger : arachide, gluten, lactose, fruits à coques, crustacés. Quelque 8 % des enfants européens en sont frappés… L’augmentation spectaculaire de la prévalence des allergies a d’abord été observée dans les villes des pays industrialisés, mais pas dans les pays du Sud, au point qu’elle est devenue paradoxalement un “marqueur” du développement. "
Si, pour le moment, les pouvoirs publics ne s’emparent pas du problème, de nombreux scientifiques ont mis le doigt sur ces déséquilibres et leur origine. Il devient de plus en plus certain que l’hyperhygiénisme et l’urbanisation peuvent être à l’origine de telles maladies. Point positif : il est possible de développer une immunité acquise dès la petite enfance en vivant à la campagne.
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L’hécatombe de Covid qui avait été annoncée en Afrique n’a pas eu lieu. Et l’hypothèse de la biodiversité est une piste tout à fait cohérente pour expliquer que, dans les zones rurales africaines et asiatiques, il y a eu très peu de malades et de morts. « C’est un fait qui gêne, mais l’hypothèse de la biodiversité paraît être la meilleure explication », confirme Marie-Monique Robin.
Dans ces régions, les morts du Covid sont des urbains présentant un système immunitaire très fragile, en raison de ce manque d’exposition à la biodiversité microbienne. Tout comme il n’y a ni asthme ni allergies dans ces zones rurales. Il s’agit d’un fait enseigné en faculté de médecine : l’asthme et les allergies sont des maladies d’urbains…
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Dans le cadre de son enquête, la journaliste Marie-Monique Robin est allée à la rencontre de la pédiatre et immunologue Erika von Mutius, à l’origine du concept d’" effet de la ferme ". Selon elle, l’exposition aux poussières de la ferme permettrait de lutter contre les allergies, notamment respiratoires. Afin de déterminer les facteurs qui contribuent à cet effet, elle a lancé trois grandes études : Alex, pour Allergy and endotoxin study, Parsifal, pour Farming and anthroposophic lifestyle, et Gabriela, pour Genetic and environmental causes of asthma in the European Community.
La première étude a montré qu’une exposition continue, dès la première année de vie, à l’environnement de l’étable – où les vaches sont nourries et traitées – et la consommation du lait de ferme conféraient un effet protecteur robuste contre le développement de l’asthme, du rhume des foins et de la sensibilisation allergique. La seconde étude a souligné le fait que le taux de prévalence de l’asthme chez les enfants fermiers est deux fois moins élevé que chez les enfants non fermiers. " Pour les allergies, c’est quatre fois moins, indique Marie-Monique Robin. L’étude a aussi confirmé que la consommation de lait cru non pasteurisé pendant la première année de vie jouait un rôle protecteur."
La troisième étude a pointé un fait particulier : les matelas des enfants fermiers sont bourrés de microbes, surtout des bactéries et des champignons, dont l’abondance et la diversité sont inversement corrélées au risque allergique. La journaliste : " Ces microbes proviennent du foin, de la paille, mais aussi des excréments des animaux d’élevage, et surtout des vaches, à travers le fumier et le lait. Et l’effet protecteur maximal est lié à la présence de vaches dans la ferme. "
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Erika von Mutius a lancé un autre travail d’ampleur : une étude dite longitudinale à travers laquelle des bébés et leurs familles ont été suivis sur vingt ans. À l’origine de Pature (Protection against allergy : study in rural environments), Erika von Mutius explique avoir pu enregistrer, en temps réel, pendant vingt ans, tous les facteurs qui, d’après les études transversales, contribuent à l’effet de la ferme : le mode de vie, les paramètres environnementaux et les événements cliniques.
D’un point de vue scientifique, les données sont beaucoup plus robustes. Les résultats de Pature ont confirmé ceux des études transversales (qui, contrairement aux études longitudinales, ne fournissent qu’un instantané d’une population et reposent, en partie, sur les souvenirs de participants) : les enfants non fermiers ont deux fois plus d’allergies que les enfants fermiers.
" Nous avons aussi découvert que le séjour de la mère dans l’étable et la consommation de lait de ferme pendant la grossesse contribuent à l’effet protecteur, développe la pédiatre et allergologue Amandine Divaret-Chauveau, coordinatrice de la partie française de Pature. Tout indique que les microbiotes intestinal et vaginal de la mère jouent un rôle capital pour le système immunitaire du bébé à travers la voie intra-utérine. "
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Pour le pédiatre et homéopathe Pierre Popowski, la santé de nos enfants est en danger. Dans son ouvrage Pour leur santé, laissez-les se salir !, il explique que l’hygiène chez l’enfant consiste à trouver un juste équilibre.
Parmi les nombreux conseils qu’il distille dans son livre, qui vont dans le même sens que ce que met en lumière l’enquête de Marie-Monique Robin, il suggère :
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L’allergologue Tari Haahtela est arrivé aux mêmes conclusions lorsqu’il a développé l’hypothèse selon laquelle l’exposition, dès le plus jeune âge, à une grande diversité de microbes renforce le système immunitaire et prévient le développement de l’asthme et des allergies. La clé, pour le spécialiste, est la diversité du microbiote intestinal et cutané qui s’acquiert au tout début de la vie. Car c’est durant cette période que le microbiote se constitue. Par la suite, il ne se modifiera que très peu et deviendra, en quelque sorte, une carte d’identité de la personne.
Pour se constituer, le système immunitaire a besoin d’être éprouvé dans la petite enfance, donc d’être confronté à des microbes. " Si le système immunitaire n’a rien à faire dans un contexte d’hyperhygiénisme, il a tendance à faire n’importe quoi, poursuit Marie-Monique Robin. À force, il s’attaquera à de malheureux pollens, voire pire, dans le cas des maladies auto-immunes, il se retournera contre ses propres cellules. "
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À l’occasion des projections de son documentaire, Marie-Monique Robin rencontre et échange avec de nombreuses familles. Et sur la base des multiples discussions qu’elle a pu avoir avec des scientifiques impliqués dans ces problématiques, des éléments convergent : pour aider les enfants à avoir un microbiote riche, donc un système immunitaire fort, il faut les mettre à l’abri des excès inflammatoires et finalement d’une vulnérabilité trop forte vis-à-vis des virus et d’autres maladies infectieuses.
Il faut bien entendu le plus possible manger de façon diversifiée, sélectionner des produits issus de l’agriculture biologique, y compris des produits laitiers à base de lait cru, plein de “bonnes” bactéries, préconise-t-elle. Et puis, durant la grossesse, si cela est possible, il est préférable d’éviter la consommation d’antibiotiques qui dévastent le microbiote.
On comprend bien que tous ces sujets nécessitent une dose de nuance. " Il ne s’agit pas de remettre en cause l’hygiène", précise Marie-Monique Robin. "Il existe des maladies graves. Dans les bidonvilles d’Amérique du Sud ou d’Afrique, on meurt encore beaucoup de diarrhées dues à des eaux non potables. "
Dominique Vuitton, professeure émérite d’immunologie clinique à l’université de Franche-Comté et membre titulaire de l’Académie de médecine, a bien résumé les choses à propos de l’hyperhygiénisme : " Trop d’hygiène tue l’hygiène ".
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Aller plus loin :
2. Vive les microbes ! éd. La Découverte/Arte, 2024. (Le documentaire éponyme a été diffusé sur Arte début octobre 2024, lien ici).