Un fruit à ne pas mettre dans vos smoothies

Les boissons à base de fruits mixés étant composables à volonté, on peut être tenté de réunir pêle-mêle dans son mixeur une pomme, des fruits rouges, un kiwi, un avocat, voire un peu de verdure (graines germées, brocoli…), par exemple. Et surtout d’ajouter une banane, plébiscitée autant pour le goût que pour la texture. Mais si un tel mélange était une erreur ? C’est ce que suggère une étude publiée en août 2023 dans la revue Food and Function ⁽¹⁾ qui alerte sur l’ action neutralisante d’une enzyme présente en abondance dans la banane vis-à-vis des flavanols, une catégorie d’antioxydants particulièrement bien représentée dans les fruits rouges, le cacao, le raisin, mais aussi le brocoli ou les épinards.

Flavanols : une biodisponibilité aléatoire

Les flavanols, aussi appelés « catéchines », sont des acteurs-clés de la lutte contre les radicaux libres. Ils contribuent à contrecarrer les effets délétères du stress oxydatif , et sont notamment reconnus pour leurs effets positifs sur la mémoire ₍₂₎ et la santé cardiovasculaire ⁽³⁾. Quand une personne ingère des aliments riches en flavanols, on en retrouve des traces dans le sang 3 à 8 heures après (selon que le repas est liquide ou solide), sous forme de différents métabolites. La biodisponibilité de ces flavanols reste cependant difficile à quantifier, car grandement dépendante des autres constituants alimentaires avec lesquels ils sont ingérés – ce qu’on appelle l’«effet matrice » des aliments. Une récente étude ⁽⁴⁾ suggère, par exemple, que la présence simultanée de protéines , de fibres et de minéraux aurait un effet limitant sur la biodisponibilité des flavonoïdes, tandis que les lipides, les glucides digestibles (par opposition aux fibres, qui sont des glucides non digestibles), les vitamines, les alcaloïdes et les caroténoïdes la favoriseraient.

La banane, ennemie des flavanols

La richesse en antioxydants des fruits rouges (framboises, fraises, mûres, myrtilles, etc.) a été largement vantée ces dernières années ; il n’est donc pas étonnant qu’un public de plus en plus soucieux de sa santé s’en soit emparé. Encore faut-il avoir une idée du véritable impact de ces antioxydants, notamment des flavanols, sur la biochimie humaine.

Des chercheurs en nutrition s’intéressant à la biodisponibilité des polyphénols ont donc proposé à des volontaires un smoothie de baies (fraises, myrtilles, mûres et framboises, plus du lait d’amande et du yaourt), ou le même smoothie additionné d’une banane, ou une gélule de flavanols. Le smoothie aux baies et la gélule ont entraîné une augmentation sensiblement identique des teneurs sanguines en métabolites de flavanols. Mais chez les participants ayant consommé le smoothie avec la banane, les chercheurs ont constaté une baisse spectaculaire de 84 % des teneurs sanguines en métabolites de flavanols .

Selon les auteurs, cette baisse de l’absorption des flavanols serait directement imputable à la polyphénoloxydase (PPO), qui dégraderait les flavanols dès leur arrivée dans l’estomac, empêchant qu’ils soient valorisés ultérieurement dans le tractus digestif, principalement par les bactéries intestinales – comme c’est le cas en l’absence de PPO.

La PPO n’est pas spécifique à la banane, puisqu’elle se retrouve dans de nombreux fruits et légumes, mais c’est dans la banane que la concentration de cette enzyme est la plus élevée : 3 258 KU/100 g (unité enzymatique). Pour comparaison, il descend à 1 600 dans les feuilles de betteraves, à 570 dans la pomme, à 150 dans la poire et à 24 dans l’avocat.

Conclusion et conseils pratiques

Si les interactions entre les composants alimentaires naturels sont extrêmement complexes et encore peu connues, il apparaît néanmoins fondé, à la lumière de cette étude, de renoncer à incorporer une banane (et dans une moindre mesure une pomme ou une poire, voire un avocat) à un smoothie à base de fruits rouges afin de ne pas réduire les propriétés antioxydantes de ces derniers. Les auteurs supposent que cet effet limitant de la banane sur la biodisponibilité des flavanols s’étend très probablement à d’autres polyphénols antioxydants (flavones, anthocyanidines, resvératrol, acides phénoliques, lignanes…).

L'impact de cette découverte peut être significatif, non seulement pour la préparation des smoothies maison, mais aussi pour les produits du commerce. Pour qui veut profiter des atouts nutritionnels de la banane (source de fibres, de potassium, de vitamines et de minéraux), mieux vaudrait la consommer à part, à quelques heures de distance des aliments riches en antioxydants.